Association des femmes juristes du Burkina Faso

Le 26 avril dernier, nous avons rencontré dans leurs locaux de Ouagadougou l'association des femmes juristes du Burkina Faso, et plus précisément Mme Gouba Aglar, la chargée de mission, qui nous a expliqué le fonctionnement de l'association.

 

Les membres de l'association, au nombre de 130 dans tout le pays (outre la section de Ouaga, il existe une section à Bobo) sont des professionnelles du droit : avocates, huissiers, magistrates, juristes… ou ont fait des études de droit. En termes de financement, plusieurs partenaires appuient ou ont appuyé l'association : les Etats-Unis pour l'installation, la Banque mondiale pour le matériel, l'Union européenne, la Francophonie, … Le fonctionnement ne se fait que sur financements extérieurs, chaque projet de l'AFJBF étant subventionné de manière distincte. Ce qui pose, comme pour de nombreuses structures en Afrique, la question de la durabilité des projets et actions.

 

L'association travaille beaucoup avec d'autres intervenants sur les mêmes sujets qu'elle, mettant ses membres à leur disposition en cas de besoin. Elle appartient en outre à la Fédération des juristes africaines, lesquelles se retrouvent de temps à autres, en fonction des moyens. Elle collabore enfin avec Avocats sans frontières. Les échanges sont souvent productifs et permettent d'améliorer les stratégies et l'action de terrain.

 

L'objectif de ces juristes, depuis 16 ans, est de défendre et promouvoir les droits des femmes – et des enfants. Dans un pays où, comme chez les voisins d'ailleurs, l'égalité entre hommes et femmes reste à l'état de concept, souvent non accepté dans la population, on comprend l'importance de leur action. A titre d'exemple, au Mali, plus de 50 % des femmes considèrent, selon une étude récente de l'Unicef, qu'elles n'ont pas et ne devraient pas avoir les mêmes droits que les hommes ; d'après Mme Aglar, la situation au Burkina est différente, les femmes réclament l'égalité.

 

Dans les faits, on en est encore loin et les violations des droits des femmes restent nombreuses malgré les avancées. Les femmes sont victimes de violences physiques (au Mali, plus de 70 % d'entre elles sont maltraitées, d'après l'étude de l'Unicef), morales et économiques. Les filles restent minoritaires à l'école, les parents préférant y envoyer les garçons (les filles sont utiles à la maison pour préparer les repas, s'occuper des plus petits, aller chercher l'eau, travailler aux champs...).

 

Les femmes n'ont pas accès à la terre dans la tradition – bien qu'aujourd'hui la loi les autorise aussi à devenir propriétaires. Par exemple, chez les Mossis, une femme est à la naissance considérée comme une étrangère : elle est appelée à quitter la famille pour rejoindre celle de son mari. Elle n'a donc pas le droit d'être propriétaire d'une terre, pour éviter que cette terre ne quitte les mains de la famille. En matière d'héritage, la coutume veut que seuls les garçons aient une part ; là encore, la loi tente d'établir une certaine équité en cas de mariage civil – mais souvent, seule la coutume est appliquée.

 

S'agissant du mariage justement, à la différence du Mali (cf. notre article actualisé ici), les textes prévoient que seul le mariage civil est reconnu par la loi. Quant à la polygamie, si elle n'a pas été abolie, il reste que la monogamie est la règle et que les 2 membres du couple doivent opter pour la polygamie au moment du mariage. On peut se demander toutefois dans quelle mesure ceci s'avère réellement protecteur eu égard aux pressions sociales et familiales susceptibles de s'exercer sur la future épouse...

 

En matière de santé sexuelle, les femmes sont souvent victimes de contamination par le VIH par un partenaire qui ne fait pas connaître sa maladie ; un texte définissant la contamination volontaire est censé réprimer ce genre de comportements et permettre une indemnisation des victimes, toute la difficulté étant de le faire connaître et plus encore, d'apporter la preuve du caractère volontaire de la contamination.

 

S'agissant de la contraception, la femme est théoriquement libre d'y accéder, même sans l'accord de son mari ; toutefois, les personnels soignants qui délivrent la pilule ou posent les implants se retrouvent parfois agressés par des époux mécontents... La liberté est toute relative dans ces conditions – et de nombreuses femmes préfèrent les implants, plus discrets que la pilule. Plus généralement, l'accès aux soins reste problématique pour de nombreuses femmes, notamment en milieu rural et particulièrement au moment de la grossesse. Et la liste pourrait s'allonger encore davantage.

 

Ces situations de violation se trouvent renforcées par le fait que la plupart des femmes ne sont pas indépendantes économiquement, et craignent donc de faire entendre leur voix pour réclamer le respect de leurs droits. En outre, la coexistence entre droit coutumier et nouveaux textes n'est pas sans problème : si les Tribunaux appliquent en principe la loi, rares sont les citoyens qui y font appel...

 

L'action justement se décompose en plusieurs volets.

 

Elle comprend en premier lieu des formations à destination des praticiens du droit (les fameux « renforcements de capacités », comme on dit ici) mais aussi des communautés – car avant de faire respecter un droit, il faut que son bénéficiaire soit conscient de l'existence de ce droit. Il se trouve que ce n'est pas toujours le cas dans la sous-région, que ce soit en zone rurale ou urbaine : manque d'accès à l'information (s'il n'y a pas l'électricité, donc peu de radio, pas de télévision, encore moins Internet) et analphabétisme l'expliquent en grande partie.

 

Il faut ajouter à cela les difficultés d'accès au droit, y compris pour les praticiens, qui ne connaissent pas toujours les textes applicables – quant à les interpréter correctement, c'est encore une autre affaire... Petit exemple rencontré au cours du périple : un juge qui considère qu'il y a viol à partir du moment où la « victime » est mineure, peu important l'âge du « délinquant » et le caractère consenti de l'acte. Alors que la définition du viol dans la loi en vigueur du pays concerné est quasiment la même qu'en France (impliquant donc le caractère non consenti de l'acte). En tout état de cause, si les textes protecteurs des femmes existent au Burkina (égalité homme / femme proclamée par le Code de la famille, notion d'autorité « parentale », droit à la parole de la femme en matière de logement, ...), peu sont effectivement connus et appliqués.

 

Les formations ont lieu sur des sujets variés, notamment sur les droits des femmes en matière de santé sexuelle et de sexualité, sur les droits des enfants, … Pour une réelle efficacité, elles sont réalisées en langues locales.

 

Un autre volet de l'action consiste à apporter aux femmes dont les droits sont violés une assistance judiciaire, en organisant des consultations, en les orientant dans le système juridique et en les défendant. Encore faut-il, pour qu'une femme puisse faire appel à ce service, qu'elle connaisse l'existence de l'AFJBF.

 

Enfin, l'association intervient au niveau politique par des plaidoyers pour faire évoluer les textes. Par exemple, en 2009, grâce notamment à son action, une loi imposant un quota de 30% de femmes sur les listes électoralesa pu être adoptée. De même l'AFJBF se bat pour que la matière juridique et notamment les droits des femmes et des enfants soient inclus dans le programme des études secondaires. En matière de santé sexuelle et notamment sur le thème de l'excision, l'association est également présente.

 

Mme Aglar explique que depuis 10 ans, des avancées sont perceptibles. D'abord, les textes sont de mieux en mieux connus et appliqués, même si beaucoup reste à faire. Ils se sont également enrichis d'une manière favorable aux femmes. Et l'association est de plus en plus connue dans le pays.

 

Cela n'exclut pas les difficultés. L'une d'entre elles est l'analphabétisme du public cible, qui rend plus compliquée la transmission du message : il faut se déplacer et expliquer directement les enjeux, au lieu de passer par des canaux d'information écrits. Un autre problème est que les formations sont dispensées à la fois aux hommes et aux femmes ; or, dans certaines ethnies, une femme ne parle pas devant un homme (d'une manière générale, à des rares exceptions près, les femmes parlent après les hommes et souvent sans manifester de désaccord avec eux) : les échanges s'en trouvent complexifiés.

 

Par ailleurs, il arrive que certains magistrats, notamment masculins, soient réticents à appliquer les textes favorables aux femmes (ou aux enfants d'ailleurs – vérifié au Mali) : dans ce cas, l'association fait pression pour que le droit soit respecté, avec plus ou moins de succès.

 

Plus structurellement, bien qu'elle soit relativement connue, l'association manque de moyens notamment en ce qui concerne l'assistance juridique. L'idéal serait de pouvoir héberger les femmes en détresse car il n'existe pas de structure les accueillant pour le moment, à l'exception d'un contre dont les capacités sont très faibles. L'AFJBF a bien un terrain, mais il faut construire... Comme beaucoup de projets en Afrique, l'association est confrontée à un problème fondamental : celui de sa survie en l'absence de fonds extérieurs...

Association pour la Promotion Féminine de Gaoua

Nous avons rencontré le 16 avril 2010 l'APFG, dans ses locaux de Gaoua (au sud du Burkina Faso). Nous avons été reçus par Viviane, sa secrétaire générale, qui nous a présenté le travail de cette association locale, créée en 1990, avant que nous visitions les locaux.

 

L'objectif de l'APFG est l'amélioration des conditions de vie des femmes de la région, sur les plans social, économique et culturel. Vaste programme...

 

L'association est organisée en sections, présentes dans les différents quartiers de Gaoua et dans les villages alentour. Elle fonctionne depuis l'origine sur le principe du bénévolat, avec des réunions hebdomadaires (impressionnant quand on connaît la difficulté à mobiliser en milieu associatif, en France évidemment mais aussi et surtout en Afrique, où beaucoup espèrent avoir un petit quelque chose en retour de leur investissement). Les femmes expliquent d'ailleurs que ce n'est pas toujours facile, il faut jongler entre les activités ménagères à la maison et les activités associatives... En tout état de cause, depuis le lancement du projet Alineah (cf. ci-dessous), du personnel a été employé afin de gérer le volet micro-finance, très lourd (vérification des dossiers, comptabilité, suivi des projets, ...). Au niveau financier, le fonctionnement est assuré par des fonds provenant de différents bailleurs (fondation Philipson notamment), de dons, de legs et des bonnes volontés des uns et des autres. L'association bénéficie du soutien des autorités locales, grâce à l'efficacité de ses campagnes de relation publique et aussi, apparemment, à son absence de connotation politique.

 

Les activités sont menées selon les trois axes précités, auxquels il faut ajouter des actions relatives à l'environnement. Nous avons été admiratifs du dynamisme de la structure et de la multiplicité de ses actions, que nous avons pu voir pour partie (cf. nos quelques photos). Jugez en plutôt...

 

Au plan social, les axes d'intervention sont les suivants :

  • organisation du parrainage d'enfants et de jeunes femmes pour leur scolarisation, avec la participation de l'association pour le financement des élèves scolarisés en primaire, et à partir d'un soutien de l'étranger pour le niveau secondaire (trop cher pour que l'association puisse y pourvoir à elle seule) ;

  • soutien et aide aux veuves et orphelins ;

  • sensibilisation via une troupe de théâtre utilisant la technique du théâtre forum sur des thèmes de société aussi divers que l'excision, la dot, le lévirat, le mariage forcé, les droits fondamentaux...

Sur l'excision, l'approche retenue a aussi consisté à sensibiliser les exciseuses elles-mêmes, afin de les conduire à « déposer leurs couteaux » et à les faire devenir animatrices sur ce thème, pour davantage d'efficacité. Rappelons qu'au Burkina, l'excision est interdite par la loi et pénalement punie (10 ans de prison et 1 million de FCFA – soit 1500 euros), ce qui conduit certaines familles à aller faire exciser leurs filles soit au Mali, soit en Côte d'Ivoire...

  • formation de femmes para-juristes dans les villages, afin de permettre aux villageoises d'avoir accès plus facilement au droit ;

  • ateliers d'alphabétisation en langue locale, qui durent 2 à 3 mois tous les ans, pour une vingtaine de femmes par section, sur un rythme quotidien. Les femmes suivent 2 formations (initiation / perfectionnement), une réflexion est en cours pour augmenter cette durée jugée insuffisante par les formatrices – il faut dire que certaines des femmes formées n'ont jamais tenu un stylo dans leurs mains (ce qui rend difficile l'apprentissage de l'écriture)...

  • récent lancement d'un (gros) projet de microfinance (Aliniha) : en 2009, 784 femmes se sont vu allouer un prêt de 25 000 à 300 000 FCFA, suivant leurs besoins, avec un taux d'intérêt de 10% (les intérêts reviennent à l'association) pour lancer ou dynamiser des « activités génératrices de revenus » (fabrication de beurre de karité, petites activités commerciales, etc). Chaque femme doit soumettre un dossier très précis, avec l'analyse de la rentabilité de l'activité, une étude de milieu, etc. Elle s'engage à respecter une Charte qui lui confère des droits et des devoirs, parmi lesquels ne pas utiliser de sachets plastiques en allant au marché, faire scolariser une fille, ou encore planter un arbre (la pousse lui est fournie par l'association) ; après un an, la majorité des femmes concernées a décidé de reconduire l'expérience, qui s'est avérée positive à leurs yeux ;

  • mise en place d'un club de jeunes filles (à partir de 12 ans) afin de les aider à s'organiser pour l'école, pour apprendre un métier ;

  • en collaboration avec les infirmiers et agents de santé, sensibilisation sur la sexualité dans les lycées et mise en place de «pairs éducateurs » (formation de jeunes qui peuvent ensuite transmettre un message à leurs pairs);

  • organisation d'évènements : par exemple, pour la journée de la femme, un cycle de consultations gratuites pour le dépistage du cancer du col de l'utérus a été organisé.

 

Au niveau économique, l'association a lancé elle-même des « activités génératrices de revenus » auxquelles participent les femmes de l'association : production de dolo (bière locale à base de mil) et commercialisation dans un cabaret traditionnel, fabrication de savon, de beurre de karité, de poteries, de bijoux, vannerie, exploitation d'une porcherie (bientôt transformée en élevage de volailles, le porc étant peu rentable – précisons que Gaoua se trouve en zone majoritairement animiste où l'interdit alimentaire lié au porc n'est pas aussi fort que dans d'autres zones du pays), etc... Ces AGR permettent aux femmes qui y participent d'obtenir un revenu ainsi que de générer quelques bénéfices pour l'association. Celles qui participent à ces activités sont très nombreuses, au point de ne pas pouvoir entrer toutes dans les salles d'assemblée générale annuelle...

 

Au plan culturel, l'APFG organise une « journée culturelle » de 72h chaque année, avec bals, réunions, activités récréatives...

 

Au niveau environnemental, elle mène des actions en faveur de l'environnement : vulgarisation des fours solaires (en partenariat avec le PNUD et le Fonds pour l'Environnement Mondial) et de leur technique d'utilisation (démonstrations hebdomadaires), diffusion de foyers améliorés, sensibilisations concernant les feux de brousse et la coupe abusive du bois (qui sont cause de désertification dans le pays).

 

Pour conclure, nous avons réellement été impressionnés par cette association qui intervient sur tous les fronts avec dynamisme, volontarisme et compétence, et qui permet sans nul doute d'améliorer la condition des femmes et de l'ensemble de la population de la région – même si les résistances existent (par exemple à propos de la sensibilisation au lavage des mains : « mais non, tu joues au Blanc là, le microbe ne tue pas l'Afrique... »).

La cité des arts de Koudougou

Le site est un peu excentré, en haut d'une petite colline. Une cour, entourée des différents ateliers et du Café des arts. Ce 21 avril, ce sont Maurice Yameogo (le responsable administratif), Anatole (artisan – fabrication de colliers) et Ousseini (artisan bronzier) qui nous accueillent.

 

L'objectif de la Cité des arts a été de regrouper les différentes techniques artisanales traditionnelles, pour une meilleure diffusion, tout en formant des jeunes à ces techniques et en sensibilisant la population à ce patrimoine. L'idée est venue des 3 fondateurs, dont Maurice, et l'ensemble s'est construit progressivement. Aujourd'hui, la Cité est propriétaire de ses locaux.

 

Anatole nous fait visiter les ateliers : batik (technique de peinture sur tissu avec utilisation de parafine pour réserver les zones de tissu plus claires, traditionnellement avec des colorants naturels, aujourd'hui le plus souvent avec des colorants chimiques résistants aux lavages), peinture, bronze (technique de la cire perdue), fabrication de colliers, sculpture, teinture.

 

En plus des ateliers, un Café, quelques chambres pour les touristes de passage, et une scène-paillotte en cours de construction pour abriter les concerts – car la Cité des arts a aussi sa troupe de dans traditionnelle et un orchestre.

 

Quelque 70 personnes travaillent ici : les artisans maîtres formateurs, leurs apprentis, la troupe musicale. Chaque atelier fonctionne de manière autonome : sur les bénéfices réalisés, une partie est affectée au fonctionnement de la structure, et le reste réparti entre les artisans de l'atelier, en général en fonction de l'ancienneté.

 

Un beau projet, qui montre une fois de plus que les initiatives locales peuvent aboutir – avec pas mal de volonté et de persévérance. La structure rencontre néanmoins des difficultés.

 

Pour survivre, en premier lieu : il n'y a aucun soutien financier local, l'argent ne vient que de la production. Et ce n'est pas la population locale qui achète – ou rarement : manque de moyens (on ne va pas s'offrir un collier à 1500 FCFA quand on ne sait pas si on pourra avoir 3 repas dans la journée),

Par conséquent, ceux qui font vivre l'association, ce sont les occidentaux : touristes de passage, exportation, dons. Les responsables de l'association se rendent une fois par an en Europe pour commercialiser leurs produits, une partie de l'argent permettant aux artisans de vivre, une autre étant affectée à l'entretien de l'existant, une autre enfin servant à investir pour le développement. Mais la crise est passée par là : moins de gens achètent, et la concurrence est rude, le marché bouché.

La Cité accueille aussi des groupes ou des individuels désireux de se former aux différentes techniques existantes ; ces stages de formation, payants, lui permettent de vivre...

En tant que structure de formation, elle pourrait sans doute prétendre à des subventions. Mais jusqu'ici, malgré les nombreux dossiers complétés, aucun n'a abouti. Maurice nous explique que les responsables, lassés, ont abandonné : le temps passé sur ces demandes de financement est précieux...

 

Pour sensibiliser, en deuxième lieu – en tous cas au niveau local. La population n'accorde pas de réelle valeur à la production ; même quand elle en a les moyens, il est rare qu'elle se tourne vers l'artisanat local, pourtant riche, pour décorer une maison... L'équipe de la Cité des arts essaie donc de sensibiliser les gens à ce qui est aussi leur patrimoine en passant par les enfants : elle va visiter les écoles, invite les enfants à assister aux spectacles... Ils sont intéressés, mais pour le moment cela n'a pas de réel impact sur les parents.

 

Pour en savoir plus / pour aider : http://citearts-koudougou.c.la/

Association La Voûte Nubienne

Le 19 avril 2010, à Boromo au Burkina Faso, nous avons rencontré les membres de la dynamique association AVN (Association « La voûte nubienne »). Valérie, directrice nationale pour le Burkina Faso, a répondu à toutes nos questions.

 

L'objectif de l'association, créée en 2000 par Thomas Granier, maçon de formation, est de répondre à la problématique de l'habitat en milieu sahélien. En effet, comme nous avons pu le constater au cours des derniers mois, les populations sahéliennes sont confrontées à des difficultés de logement, nombre d'habitations étant précaires et / ou insalubres, tant en ville qu'en milieu rural ; plus exactement, 70 % de ces populations ne disposent pas d'un habitat durable et décent. L'idée est donc de leur proposer des logements répondant à ces deux critères, utilisant des matériaux de construction locaux (sans bois ni tôle notamment) et à un prix acceptable. La technique est celle de la voûte nubienne, provenant à l'origine de Nubie, comme son nom l'indique, et utilisant des briques de terre crue (non compressées) montées en voûte.

 

Pour ces dernières, l'intérêt est double : d'abord, le coût de la construction est moindre qu'avec l'utilisation des techniques traditionnelles, qui impliquent une structure en bois pour soutenir le toit (qu'il soit en paille, terre ou tôle). Or, du fait de la désertification, le bois est devenu un matériau rare – donc cher ; qui plus est, continuer à utiliser le bois pour construire contribue à la déforestation... Une voûte coûte 45000 FCFA (67,5 €) par mètre linéaire pour la construction et l'achat des matériaux (sachant qu'une voûte fait en général 7 ou 8 mètres, cela représente 315 000 à 360 000 FCFA – 480 à 548 € - pour une pièce). Il faut y ajouter 10000 FCFA (soit 15 euros) par mètre pour la main d'œuvre spécialisée. Les finitions (peinture, enduis, portes et fenêtres) restent à la charge du client. En réalité, en milieu rural, le coût peut être sensiblement plus bas car les paysans ont souvent accès au matériau de base (la terre) et peuvent donc le fournir eux-mêmes. A fortiori, le coût de la construction est diminué par rapport aux constructions modernes qui utilisent du ciment et d'autres matériaux importés – peu économiques par nature.

 

Ensuite, l'utilisation de la terre permet un meilleur confort de vie, car, d'un point de vue thermique, elle est plus adaptée aux conditions climatiques locales que le ciment et la tôle, grâce à une inertie thermique (ce qui permet en journée d'amortir plus fortement le pic de chaleur).

 

On peut ajouter un troisième avantage qui est celui de la flexibilité : le matériau terre permet une souplesse que ne possèdent pas d'autres matériaux. Il est ainsi très simple d'ajouter ou de retirer, en fonction des besoins, une porte, une fenêtre, etc.

 

Quelle est la stratégie d'AVN pour la diffusion des voûtes ? Il s'agit de former des maçons locaux à la technique de la voûte nubienne, de les accompagner, tout en leur laissant leur autonomie afin que le développement du marché leur revienne ; par là passe la pérennisation de l'action. Comme le dit le proverbe chinois, il vaut mieux apprendre à quelqu'un à pêcher que lui offrir des poissons pour satisfaire sa faim... C'est d'ailleurs le problème de nombre de projets d'ONG, qui se font sans réel transfert de compétences au niveau local – ce qui aboutit le plus souvent à la mort du projet quelques mois ou quelques années après le départ de l'ONG porteuse du projet : manque d'appropriation et manque de compétences sont les explications clé de ce genre d'échecs.

 

AVN peut aussi mettre en contact les personnes intéressées par la construction en voûte nubienne et les maçons – mais la négociation relative aux travaux se fait directement entre le client et le maçon.

 

La formation des maçons comprend 4 niveaux, d'apprenti à chef de chantier – ces derniers formant les nouveaux apprentis, avec une période d'apprentissage très variable dans le temps (en fonction de l'intérêt et des capacités de chaque apprenti). Depuis le lancement du projet, 200 maçons ont ainsi été formés, dont 60 de niveau 4 (le plus élevé).

 

L'objectif est donc d'amorcer le développement des voûtes « par le bas », en passant par l'économie informelle. Et cela fonctionne plutôt bien, même si Valérie nous indique qu'après une période de croissance exponentielle, on constate un certain tassement dans le nombre de voûtes construites – soit en tout, depuis l'origine, un chiffre de 900 (étant précisé qu'un même chantier peut compter plusieurs voûtes, puisqu'une voûte correspond à une pièce), surtout en milieu rural. La construction prend 15 jours environ pour 7 mètres de long. Précisons qu'AVN intervient sur quatre « secteurs » : construction d'habitations en milieu rural (secteur 1), en milieu urbain (secteur 2), construction de bâtiments complexes pour lesquels une structure en béton armé est nécessaire : écoles, etc (secteur 3), programme dans les nouveaux pays (secteur 4).

 

Au rang des difficultés, Valérie mentionne, s'agissant de la construction en elle-même, le manque d'eau dont souffrent certaines zones (l'eau étant nécessaire à la fabrication des briques de banco). Inversement, elle explique qu'il est difficile d'adapter la technique dans les zones où la pluviométrie est trop forte. Cependant, même dans les endroits à la pluviométrie plus importante qu'au Sahel, AVN considère que les voûtes sont susceptibles d'être implantées, sous réserve d'adaptations techniques, si les populations construisent traditionnellement en banco. C'est notamment le cas en Zambie.

 

Enfin, les propriétaires des voûtes doivent respecter un certain nombre de prescriptions (qualité des matériaux lorsqu'eux-mêmes les fournissent, système d'évacuation des eaux lorsque le terrain est en pente, crépissage, vérification du toit régulière, …) afin d'éviter des dommages à la construction. Il arrive que ces prescriptions ne soient pas respectées, ce qui peut conduire à l'effondrement de la voûte... Toutefois, sur 900 construites, seulement 20 sont tombées d'après les comptes d'AVN – soit un pourcentage non représentatif (2,2%) ; pour la plupart, il s'agissait d'erreurs de conception technique dont les équipes se sont rendu compte – elles ont alors volontairement fait tomber les voûtes.

 

S'agissant du développement de la technique, le principal obstacle réside dans le manque d'information des populations ; ce sont les publics ayant le plus accès à l'information (ONG, structures hôtelières, etc) qui sont le plus en demande de voûtes. Les populations quant à elles, notamment rurales, manifestent un intérêt certain lorsqu'elles ont connaissance de la technique. Toutefois, elles ne sont pas toujours convaincues de prime abord, et ont souvent besoin de voir la construction avant de s'engager... Sans bâtiment témoin dans tous les villages d'intervention, il n'est pas simple de toucher largement le public cible. AVN souhaite, à l'avenir, diminuer la part de voûtes construites sur demande d'ONG pour se recentrer sur le cœur de cible – notamment les villageois.

 

Afin d'améliorer la diffusion de la technique, une nouvelle méthodologie a été déployée sur 12 villages pilotes, l'idée de base étant qu'une personne convaincue par la technique et bien insérée localement devienne le relais sur place d'AVN (notamment afin de trouver les futurs clients et apprentis). Une équipe de maçons se déplace ensuite pendant 3 ans sur le site afin de former une équipe locale, en parallèle à la construction proprement dite. Au bout de ces 3 ans, une quatrième année est consacrée au suivi / évaluation. Cette méthodologie, mise en œuvre depuis septembre 2009, a été primée par la Banque mondiale qui accompagne financièrement le projet.

 

Précisons encore que le siège social d'AVN est basé en France, à Ganges, où est élaborée la stratégie de communication et où sont organisées les levées de fonds. Des équipes nationales assurent la gestion opérationnelle du projet et la production des voûtes dans les pays où AVN est implantée, c'est à dire principalement le Burkina Faso (seul pays à bénéficier de levées de fonds spécifiques), mais également le Mali, le Sénégal, et bientôt la Zambie.

 

Si vous voulez aider, vous pouvez devenir « investisseur social » AVN : plus d'informations ici.