Une histoire ordinaire

Elle a 17 ans, un sourire immense et un petit garçon de 2 ans dans les bras.

 

Son histoire est simple, semblable à tant d’autres. Elle habite avec sa famille un petit village un peu perdu du Mali. Pas grand chose à faire, les activités en dehors des travaux des champs pendant l’hivernage sont limitées. Pas de quoi se constituer un beau trousseau de mariage.

 

Elle est donc partie vers la grande ville, il y a un peu plus de 2 ans. Là bas, elle a trouvé du travail, comme aide ménagère, dans une famille. 7500 FCFA par mois (11,5 euros) pour trimer de 5 heures et demi à 23 heures, tous les jours, sans congés évidemment. Préparer les repas, nettoyer les ustensiles de cuisine, faire la lessive, faire le ménage, s’occuper des enfants… Logée et nourrie, certes. C’est bien le seul avantage.

 

Il y avait ce garçon, un voisin, il était gentil avec elle, il venait la voir souvent, lui faisait un peu la cour. Un soir de fête, elle s’est laissé convaincre, ils ont fait l’amour. Le mois suivant, ses règles ne sont pas arrivées. Elle ne n’en est pas inquiétée, elle ne savait pas ce que ça voulait dire…

 

Puis son ventre a commencé à s’arrondir et elle a compris. Elle a cherché à cacher la grossesse et y est parvenue jusqu’au 6ème mois ; après, ça devenait trop difficile. La patronne, lorsqu’elle s’en est rendu compte, l’a chassée : cela ne se fait pas d’avoir une bonne enceinte. Elle a aussi refusé de lui régler son dû…

 

Sans argent, avec son gros ventre, elle a erré dans les rues pendant presqu’une semaine. Au bout de ce temps, un passant l’a conduite à la police. C’est là qu’elle a été orientée vers ces gens qui l’ont aidée. Ils l’ont hébergée et soignée, ils l’ont accompagnée pendant sa grossesse, ils lui ont appris beaucoup de choses : à s’occuper correctement de son enfant, à connaître mieux son propre corps et son fonctionnement (depuis, elle a décidé d’utiliser un implant contraceptif). A lire et à écrire, à faire la cuisine. Et surtout à coudre. Quand elle est partie après 7 mois, comme elle avait beaucoup progressé, ils lui ont donné une machine, et ils l’ont appuyée en matériel de couture. C’était un vrai atout pour rentrer au village : la bouche supplémentaire du bébé, la honte pour la famille que représente cet enfant hors mariage, tout cela était un peu atténué par l’existence de cette machine qui pouvait lui permettre de se prendre en charge. Et aussi par le nom du père sur l'acte de naissance : à force de persuasion, il a accepté de reconnaître l'enfant. Il ne s'en occupe pas, mais ce nom sur ce papier évite au petit la stigmatisation pour être né "de père inconnu".

 

Elle sait qu’elle a eu de la chance et que beaucoup d’autres filles dans la même situation n’en ont pas eu autant, faute d’avoir croisé les bonnes personnes.

 

Quand elle est revenue, sa mère a pleuré de joie ; c’est bien la seule… Les autres membres de la grande famille, même aujourd’hui, continuent de la mépriser. Son père ne lui a jamais pardonné.

 

Avec la machine elle réussit pourtant à subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant. Sa cousine, qui a un petit atelier, a continué à la former. Mais les affaires ne marchent pas fort en dehors des périodes de fête où elles travaillent jour et nuit ; et le partage des bénéfices n’est pas équitable… De plus, lorsque la grande famille a eu des soucis financiers, toute l’épargne constituée y est passée. Aujourd’hui tout est à refaire…

 

Une autre menace assombrit l’avenir : le mariage forcé. Son père a un ami, à laquelle une de ses sœurs était promise ; mais la sœur a refusé cette union et est partie à l’exode elle aussi pour l’éviter. Conséquence « logique » : c’est elle qui est devenue la promise de l’ami… Et comme elle ne peut pas opposer d’autres prétendants (ils ne sont pas légion, avec l’enfant, ou alors en la prenant comme 2ème ou 3ème épouse, ce qu’elle refuse), la situation est délicate.

 

Elle ne perd pas espoir, pourtant. Avec l’aide de sa mère, elle va quitter à nouveau le village. Pas pour retourner en ville comme aide ménagère, non, elle a bien compris la leçon. Mais pour chercher un atelier qui lui permettra de se perfectionner davantage (elle a bien vite atteint le niveau de la cousine…). Elle emmènera son enfant avec elle : au village, il n’aurait aucune chance…

 

Un jour, peut-être, elle aura son propre atelier. Et un mari, et des enfants qu’ils auront décidé d’avoir, ensemble ; ce jour là, elle retirera son implant.

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