Retour sur le Ghana

Avec notre arrivée au Ghana, nous abandonnons pour 2 mois et demi les Africains francophones. Nous n'entendrons plus les « Y'a pas de problème », « Je te le dis », « ou bien ? » et autres... Il va falloir nous habituer à l'anglais parlé avec les accents d'ici – pas toujours facile, et en tous cas bien loin de l'anglais Oxford ou Harvard (qu'on ne comprend pas beaucoup mieux by the way). Nous allons aussi retrouver les particularités anglo-saxonnes : petit dèj eggs and bacon (ce n'est pas une si grosse rupture par rapport à l'Afrique de l'Ouest qui pratique le pain / omelette), thé qui arrive immanquablement « white » si par mégarde on oublie de le demander sans lait, vœux répétés de « safe journey », … Pas de conduite à gauche en revanche, va savoir pourquoi !

 

Nous arrivons à Accra de nuit – en prévoyant d'en repartir dès le lendemain vers la côte Ouest du pays. La moiteur est toujours présente, mais dans l'obscurité, il nous semble que c'est bien le seul point commun avec les capitales francophones. Immeubles modernes, parfois flambant neufs, de plusieurs étages ; routes à 4 voies ; rues toutes goudronnées avec des trottoirs dignes de ce nom ; éclairage public fonctionnel et répandu ; taxis en bon état ; beaucoup moins de vendeurs de rue ; nombre impressionnant de voitures (et peu de motos)...

 

Beaucoup nous avaient prévenus: « tu vas voir, le Ghana, c'est vraiment bien, c'est mieux qu'ici, notre développement à côté d'eux ce n'est rien »... Eh oui – on entend beaucoup ce genre de commentaires pessimistes en Afrique de l'Ouest francophone - car beaucoup intériorisent leur soit-disant infériorité. Des siècles de brimades morales (rappelez-vous, pendant plusieurs siècles, les Noirs n'étaient pas considéré comme des hommes) sont passés par là ! Quoi qu'il en soit, nous sommes effectivement impressionnés par le fossé existant entre cette capitale et ses voisines. Le lendemain matin, à la lumière du jour, nous nous rendons compte que cette première impression doit être nuancée : certains quartiers, manifestement plus populaires, se rapprochent de ceux que nous avons pu voir ailleurs, plus de bric et de broc, vivants et en pagaille ; en outre, de toutes les villes et villages que nous verrons par la suite (c'est à dire dans le Sud du pays), seule Accra fait preuve de cette « modernité ». Il n'en demeure pas moins que l'on sent que, malgré les difficultés, le niveau de vie moyen est plus élevé, les gens (certains constituant une classe aisée sans être immensément riche) ont davantage les moyens de sortir et de consommer, ce qui se remarque à l'offre en restaurants, bars et magasins.

 

Nous partons dès le lendemain matin vers la côte ; nous avons prévu un trajet qui la longe jusqu'à la Western region, plusieurs projets jalonnant notre route. Le parcours final sera bien différent de nos prévisions, diverses contraintes nous obligeant à revoir un peu sans arrêt nos plans (indisponibilités, incompatibilités de téléphone, précipitations...), et notamment à effectuer un aller-retour supplémentaire vers Accra. Ça fait partie des imprévus du voyage !

 

Un des intérêts de la côte ghanéenne est son versant historique. C'est en effet de là que partirent de nombreux esclaves vers l'Amérique. Certains des forts construits par les différentes puissances coloniales de l'époque (en l'occurrence, Suédois, Danois, Anglais) ont résisté à l'épreuve du temps et se visitent aujourd'hui ; ils sont remarquablement entretenus, lieux de mémoire comme il n'en existe plus tant que cela en Afrique (par exemple, les forts construits au Togo ou au Bénin ont disparu) ; la plupart ont fait l'objet d'une réhabilitation et disposent de guides compétents qui ont reçu une formation spécifique (ce n'est pas toujours le cas...). Nous sommes allés voir les forts d'Elmina et de Cape Coast : le premier a vu passer 60 millions d'esclaves en 450 ans. Deux tiers (soit quarante millions) d'entre eux sont morts avant d'embarquer... Malnutrition (nourriture jetée par une ouverture dans la voûte des cellules : celui qui attrape en premier mange, les autres meurent), mauvais traitements, conditions d'hygiène inimaginables (250 femmes parquées dans un donjon de peut-être 70 m2, sans douches ni toilettes, dormant à même le sol), choc dû au marquage au fer rouge, etc, expliquent ce « taux de perte » incroyable. Il faut y ajouter l'épuisement physique des esclaves, qui ont déjà parcouru à pied, enchaînés, des distances énormes (certains venaient de Ouagadougou, quelques 700 kilomètres au Nord).

 

Comble du cynisme, après avoir parcouru tant de kilomètres dans des conditions déplorables, les marchands d'esclaves faisaient arrêter leur « cargaison » quelques kilomètres avant l'arrivée sur les marchés aux esclaves jouxtant les côtes ; objectif, redorer le blason quelque peu terni de la « marchandise » : bain dans une rivière, corps enduit d'huile, quelques repas plus substantiels, et le commerce pouvait commencer.

 

Idem pour les femmes emprisonnées avant le départ dans les forts : elles avaient droit à une douche et de beaux vêtements... lorsqu'il s'agissait de préparer leur passage dans le lit d'un des officiers qui les avaient sélectionnées. Celles qui osaient résister étaient laissées dans la cour, sous les yeux de leurs compagnes, sans nourriture et sans eau, clouées au sol sous le soleil avec 8 lourds boulets aux pieds.

 

A noter, la plupart des acheteurs européens du « bois d'ébène » ne pénétraient pas à l'intérieur des terres africaines (trop peu sûr...). L'esclavagisme a donc fonctionné avec la participation active de certains rois africains – des rois d'Abomey au Bénin au fameux Samory Touré (plus connu pour sa lutte active contre le colon français). Ces derniers vendaient comme esclaves leurs prisonniers de guerre, leurs propres esclaves (car l'esclavage était aussi pratiqué dans les sociétés africaines – sans toutefois comporter la dimension de déshumanisation du commerce triangulaire), quelquefois même leur propre peuple.

 

Plus de 2 siècles après la fin de l'esclavage, les stigmates s'en font encore sentir dans la société africaine. C'est un élément à ne pas oublier (on a pourtant tendance à le faire, car ici, presque personne ne nous a parlé de l'esclavagisme contrairement à la (dé)colonisation) lorsque l'on se penche, interrogateur, sur la situation actuelle du continent. Même si, évidemment, cela n'explique pas tout.

 

Au-delà de la dimension historique, la côte ghanéenne est aujourd'hui l'un des pôles économiques du pays. Elle compte plusieurs ports commerciaux importants, donc celui de Tema (1er port du pays, que nous n'avons fait qu'entrevoir de loin le soir de notre arrivée à Accra) et celui de Takoradi, ville où nous avons séjourné quelques jours chez Gina et Thierry, couple franco-ghanéen qui nous a accueilli avec une très grande gentillesse. Takoradi, jumelée avec sa voisine Sekondi, est la troisième ville du pays. L'une et l'autre des deux jumelles apparaissent très différentes ; Sekondi, ville autrefois appréciée des colons, comme en témoignent les nombreux bâtiments d'époque (cf. photos), est aujourd'hui quelque peu à l'abandon, gardant le charme nostalgique d'une douceur révolue. Takoradi quant à elle, plus industrielle, vit grâce au port (exportation de bauxyte, manganèse et autres métaux ; quelques usines de transformation...) – et à la découverte de pétrole au large des côtes. L'exploitation devrait bientôt commencer, mais déjà, les prix des terrains (et du reste, d'ailleurs) se sont envolés et la communauté des expatriés a été renforcée par l'arrivée de techniciens et ingénieurs de tous horizons, français, anglais ou autres travaillant dans le secteur de l'or noire. Quant à savoir si la rente pétrolière potentielle (certains disent que cela va être « du très très gros ») va améliorer la vie des habitants de la région ou du pays, il va falloir attendre...

 

On retrouve certains de ces hommes le soir, en groupe, dans les quelques bars et boîtes « chic » de la ville. La plupart sont déjà fort ivres à 23.00 et continuent à aller de place en place vider verre sur verre, en draguant lourdement les femmes noires présentes – quant ils ne sont pas déjà dans les bras d'une prostituée. Ambiance particulière de ce monde de la nuit argenté (celui des Blancs ou des Noirs aisés), que nous a fait découvrir Gina. Quelques échanges aussi cohérents que possible avec un Anglais plein d'humour, un Breton, un Sud-Africain... On réussit à discuter, on rit même parfois, mais les flots d'alcool qui coulent donnent un goût amer à l'ensemble.

 

Échanges commerciaux donc, le long de cette côte. Mais aussi pêche. Nombreux petits ports traditionnels et colorés. Les hommes et les gamins qui apprennent le métier partent en mer sur leurs embarcations, bois et voile, si fragiles lorsque la houle pointe le bout de son nez, ou reprisent les filets le long de l'eau ; les femmes vendent la pêche du jour : crevettes, poissons de mer, langoustes, octopus frit... Il semble que l'activité revête une importance stratégique : lors de notre passage au port de pêche de Sekondi, et alors même que nous étions en compagnie de Thierry, habitant la ville depuis 20 ans, nous nous sommes vus réclamer nos passeports (que nous n'avions évidemment pas sur nous) pour entrer ! On nous a laissé entendre ensuite que cette sévérité serait due à l'importance croissante des trafics de drogue dans la région – en lien parfois avec les pêcheurs.

 

Voilà voilà, quelques lignes tapées au cours des derniers jours entre deux allers-retours, deux conversations, deux balades... La suite arrive, promis !

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Commentaires: 1
  • #1

    Jiřina (mardi, 17 juillet 2012 02:22)

    nice post