Le monde dogon - un cadrage rapide

Fascinants, envoûtants, « space »… Les Dogons et leur culture sont l’objet de nombreux qualificatifs. Il est vrai que cette culture est très particulière, et tente encore de se protéger – bien que l’intérêt des étrangers et le tourisme qu’il provoque aient eu des répercussions sur le mode de vie, nous y reviendrons. Même en quelques jours, il est possible d’avoir un aperçu intéressant de ce monde à part entière. Avant d’aborder des points plus précis, voilà en quelques lignes des éléments généraux pour « (re)cadrer » le sujet…

 

D’abord, rappelons que les Dogons, à l’origine, n’habitaient pas la falaise de Bandiagara. C’est à la fois pour préserver leurs traditions animistes face à la poussée de l’islam et pour faire face à des conflits internes qu’ils ont quitté la région du Mandé à partir du 9ème ou du 12ème siècle (selon les auteurs) pour venir s’installer dans la région de Bandiagara. Ils avaient été précédés par les Tellems, peuple pygmée vivant de chasse et de cueillette, qui avait développé un habitat troglodyte dans la falaise. Peu à peu, confrontés à des difficultés pour survivre du fait de la déforestation provoquée par les Dogons, peuple agriculteur, les Tellems quittèrent la région ; aujourd’hui cette civilisation est définitivement éteinte mais leurs habitations ont résisté aux siècles… On y a découvert des poteries et tissus dans un état de conservation remarquable, dont une partie est aujourd’hui exposée au musée national, dont nous avons parlé dans un de nos billets.

 

On parle souvent de la falaise gréseuse de Bandiagara, longue d’environ 200 kms. En réalité, les Dogons habitent certes la falaise, mais aussi les deux espaces qui s’étendent de part et d’autre : le plateau et la plaine. D’ailleurs, les villages de falaise sont de plus en plus souvent abandonnés par leurs habitants au profit des villages de plaine – accès et conditions de vie particulièrement difficiles obligent. L’architecture, les dialectes, les sources de revenu (cultures, artisanat, etc) diffèrent d’une zone à l’autre et également entre le Nord et le Sud de la région. Le pays dogon n’est pas un mais multiple…

 

La cosmogonie (c'est-à-dire l’explication apportée à la formation de l’univers) dogon est un des éléments qui attire le plus les Occidentaux – lesquels ne savent souvent pas que de nombreuses autres ethnies africaines ont aussi leurs cosmogonies, moins connues tout simplement (pour découvrir la cosmogonie peule, vous pouvez par exemple lire les Contes peuls d’Amadou Hampâté Bâ). Vulgarisée par Marcel Griaule, un ethnologue qui a résidé à Sangha (village qui a été notre « base »), la cosmogonie dogon est aujourd’hui largement questionnée – en tous cas en dehors des cénacles français qui continuent de vouer au Maître et à ses travaux la plus grande déférence. Parmi les critiques, le fait que Griaule ne se soit basé que sur la parole d’un unique interlocuteur « initié », Ogotemelli, avec lequel il ne pouvait pas dialoguer directement puisqu’il ne parlait pas dogon et qu’Ogotemelli ne comprenait pas le français ; qu’il ne se soit intéressé qu’aux villages de Sangha et pas aux autres ; que les descriptions antérieures et ultérieures de la culture dogon ne correspondent pas à son analyse ; ou encore qu’il en présente une vision aseptisée, idéalisée.

 

Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas obtenu énormément d’informations à ce sujet pendant notre séjour. En effet, Souleymane (notre guide) est de religion musulmane, bien que son grand père ait été animiste. Dans ces conditions, il n’était pas la personne la plus indiquée pour évoquer avec nous cosmogonie et autres rites animistes – bien qu’il nous ait tout de même livré certaines clés.

 

S’agissant de l’animisme, s’il est encore très présent, il faut souligner que le pays dogon, comme les autres régions du Mali, connaît également d’autres religions, au premier rang desquelles l’islam – mais aussi la religion chrétienne. C’est ainsi qu’à Sangha coexistent musulmans, animistes, catholiques et protestants. Attention donc aux discours sur « les Dogons, peuple animiste aux traditions remarquablement préservées » : impossible de réduire un peuple et une culture, par définition en perpétuelle évolution sous de multiples influences, à des formules aussi figées…

Nouveau code de la famille au Mali

Une petite actualisation...

 

Lorsque nous avions écrit cet article en août dernier, le texte avait effectivement été adopté par le législateur malien et il ne restait plus qu'à la promulguer. Mais il semble que les autorités n'aient pas suffisamment communiqué sur le contenu du nouveau Code, expliqué les changements apportés, etc. Il y a donc eu une forte mobilisation à l'initiative principalement des leaders musulmans, qui ont présenté le texte comme imposé de l'extérieur et correspondant à une perte des valeurs traditionnelles du pays. De nombreuses manifestations ont eu lieu à Bamako et le Président de la République a finalement décidé de ne pas promulguer la loi et de la renvoyer pour un nouvel examen concernant plus particulièrement une dizaine de points « litigieux » devant l'Assemblée nationale. Le processus, suivant les dernières informations, suivait toujours son cours. Beaucoup disent au Mali que le sujet est trop sensible politiquement et que le Président ne se risquera de toutes façons pas à une nouvelle tentative d'adoption d'ici la fin de son mandat en 2012...


Le 4 août dernier, l’Assemblée nationale malienne a adopté un nouveau code des personnes et de la famille par 117 voix pour, 5 contre et 4 abstentions. Ce texte était en cours de discussion depuis plus d’une décennie, dans l’objectif de remplacer le précédent code qui datait de 1962 et  décrit par une association malienne de protection des femmes comme source d’un « véritable calvaire ». Malgré le vote massif à l’Assemblée, le nouveau code semble provoquer des débats importants au sein de la société malienne.

Le nouveau code est un projet lancé depuis 1996… il a été déterré par Amadou Toumani Touré, l’actuel Président de la République, suite à sa réélection en 2007. Etant donné qu’il effectue son deuxième et dernier mandat (limitation résultant de la Constitution), certains commentateurs estiment qu’il s’est senti suffisamment libre vis-à-vis de son électorat masculin pour pouvoir relancer le projet qui vise notamment à améliorer la condition de la femme.

En effet, ce code apporte une nouvelle place aux maliennes :

  • Désormais, bien que l’homme soit toujours considéré comme chef de la famille et qu’il ait le choix de la résidence conjugale, la femme n’a plus de « devoir d’obéissance » envers son mari et ce dernier n’a plus de devoir de « protection »  vis-à-vis de sa femme. Les époux se doivent fidélité et assistance.
  • Le régime monogamique est le régime principal. Il est néanmoins possible d’y déroger sous condition du « consentement exprès de l’épouse ».
  • La procédure de divorce par consentement mutuel fait son apparition ; l’un des deux époux peut demander la séparation à cause d’une « rupture prolongée de la vie commune ».
  • La pension alimentaire d’une divorcée ne peut plus lui être retirée au motif « d’immoralité »
  • Les discriminations dont étaient victimes les femmes quant à l’acquisition de la nationalité par le mariage sont supprimées.
  • La notion de « puissance paternelle » est remplacée par celle « d’autorité parentale », conjointement exercée par le père et la mère ; en cas de désaccord, le litige est réglé par le tribunal civil.
  • L’âge minimum du mariage est fixé à 18 ans, tant pour les filles que pour les garçons. Entre 15 et 18 ans, des dispenses sont possibles, avec l’accord des parents. Le montant de la dot est fixé à 15 000 Fcfa (soit environ 22€).
  • Malgré une opposition importante de la part des associations musulmanes, le mariage est consacré comme un acte laïc ; seuls les mariages réalisés à la mairie pourront être reconnus. Les ministres des cultes pourront être sanctionnés s’ils célèbrent des mariages alors que les époux ne sont pas mariés civilement.

 

Le nouveau code permet en outre de légiférer sur deux points importants, qui faisaient l’objet d’un vide juridique jusqu’à présent :

  • L’ouverture d’une tutelle est rendue possible (en cas de décès des parents, d’un enfant naturel non reconnu par ses parents…).
  • Le code détermine les règles concernant les dévolutions successorales. Ce nouveau droit des successions est normalement en accord avec la Constitution et avec toutes les conventions internationales ratifiées par le Mali. En particulier, il rétablit l’équilibre entre les enfants, en supprimant les discriminations en fonction du sexe et en mettant enfants naturels et légitimes à égalité. Mais le législateur malien a choisi de s’adapter aux réalités sociales du pays : il reste possible pour n’importe qui de choisir, de son vivant, les procédures de dévolution successorale correspondant à sa religion ou à sa coutume.

Certains commentateurs regrettent que le texte n’aille pas plus loin :

  • Il ferme, comme en France, la possibilité de mariages homosexuels, puisqu’il précise qu’il s’agit de l’union « d’un homme et d’une femme ».
  • Il attribue au juge un rôle d’arbitrage important… ce qui pourrait, dans la pratique, se retourner contre le droit des femmes selon certaines associations, puisque la plupart des juges sont des hommes.
  • Enfin, limite importante au code, le texte passe sous silence les problèmes liés aux viols conjugaux ainsi qu'à l’excision.

 

Le nouveau code fait actuellement largement parler de lui, au moins sur internet. Et il a ses opposants, principalement certaines associations et groupes musulmans, parfois très virulents, qui dénoncent l’influence occidentale néocoloniale. Le Haut Conseil Islamique du Mali, par la voix de son Président Mahmoud Dicko déclare ainsi que certaines dispositions « ne s’accordent pas avec [leurs] valeurs sociétales et qui heurtent [leur] sensibilité religieuse ». Les questions du mariage laïc ainsi que du droit des successions sont les principaux sujets de critiques. Certaines, particulièrement violentes (telle « le code du diable »), sont des affirmations claires de la nécessité de conserver la domination des hommes sur les femmes, le tout teinté d’un fort anti-parlementarisme.

D’autres commentateurs sont plus mesurés, soulignant l’équilibre du texte, voire enthousiastes quant aux avancées proposées.

 

Il faudra attendre son application pour pouvoir déterminer dans quelle mesure ce nouveau code de la famille aura permis un changement des pratiques, peut-être vers un respect accru des femmes sans pour autant froisser les cultures ? Soyons optimistes…

 

 

Nos principales sources sur le site d'information maliweb.net où les tribunes s'enchaînent sur le sujet...

Voir aussi le site du ministère malien de la promotion de la femme, de l'enfant et de la famille.