sam.

26

juin

2010

Coupe du monde

Comme vous le savez tous (puisque vous sans doute eu à subir des JT consacrés au moins pour moitié aux états d'âme, déboires et défaites des Bleus – heureusement, votre calvaire est fini, réjouissons-nous !), la Coupe du Monde se tient cette année en Afrique du Sud. Nous nous souvenons, l'année dernière, alors que nous préparions notre voyage, des articles pessimistes que nous lisions, selon lesquels le pays ne serait jamais prêt à temps, les stades ne seraient pas construits, les transports ne suivraient pas, l'hôtellerie non plus... Il semble que la nation arc-en-ciel ait pourtant tenu ses promesses, pour le plus grand bonheur des fans du ballon rond et pour la plus grande fierté de ses citoyens.

 

La fierté, c'est un peu ce que ressentent tous les Africains en ce moment. Pourquoi ?... Les journalistes de tout bord l'ont sans doute martelé, mais il est bon de rappeler que c'est la première fois, depuis les débuts de la Coupe, que celle-ci a lieu dans un pays africain. Aucun Européen ne peut s'imaginer cela – l'évènement s'est déroulé tant de fois chez nous que cela n'a presque plus rien d'exceptionnel.

 

La fierté et la fièvre demeurent quand bien même les défaites de la quasi-totalité des équipes africaines aient provoqué d'intenses déceptions. Déceptions vite mises de côté, pour supporter de manière unie la seule équipe du continent encore en lice à l'issue des éliminatoires, les Black Stars du Ghana. Imagine-t-on les Anglais supporter, par solidarité européenne, les Français jouant contre disons, le Brésil ? Ou les Français supporter les Allemands contre ce même Brésil ?...

 

Quand on connaît la passion des Africains pour ce sport, quand on se rend compte qu'ils regardent le moindre match diffusé sur leurs chaînes, quand on voit vibrer à l'unisson hommes, femmes et enfants d'un même pays pour supporter leur équipe, comme nous l'avons vu au Ghana, au Mali ou même ici en Namibie (où l'on supporte l'Afrique du Sud, en général), on comprend mieux l'importance que cette Coupe revêt ici. Et mieux encore si l'on est conscient que, comme nous l'ont dit plusieurs personnes : « This will probably happen only once in our lifetime » (« Cela n'arrivera sans doute qu'une fois dans notre vie »).

 

Etre sur ce continent en ce moment, même sans être de grands amoureux du foot, même sans se déplacer dans un stade sud-africain, c'est partager une goutte de cet enthousiasme débordant, c'est être « in the right place in the right time ». C'est se dire aussi que, peut-être, grâce aux nombreux reportages sur le continent et sur l'Afrique du Sud qui ont à l'occasion probablement été diffusés en Europe, en Amérique, en Asie, de nombreux préjugés et idées reçues tomberont ?

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sam.

26

juin

2010

Retour sur le Ghana

Avec notre arrivée au Ghana, nous abandonnons pour 2 mois et demi les Africains francophones. Nous n'entendrons plus les « Y'a pas de problème », « Je te le dis », « ou bien ? » et autres... Il va falloir nous habituer à l'anglais parlé avec les accents d'ici – pas toujours facile, et en tous cas bien loin de l'anglais Oxford ou Harvard (qu'on ne comprend pas beaucoup mieux by the way). Nous allons aussi retrouver les particularités anglo-saxonnes : petit dèj eggs and bacon (ce n'est pas une si grosse rupture par rapport à l'Afrique de l'Ouest qui pratique le pain / omelette), thé qui arrive immanquablement « white » si par mégarde on oublie de le demander sans lait, vœux répétés de « safe journey », … Pas de conduite à gauche en revanche, va savoir pourquoi !

 

Nous arrivons à Accra de nuit – en prévoyant d'en repartir dès le lendemain vers la côte Ouest du pays. La moiteur est toujours présente, mais dans l'obscurité, il nous semble que c'est bien le seul point commun avec les capitales francophones. Immeubles modernes, parfois flambant neufs, de plusieurs étages ; routes à 4 voies ; rues toutes goudronnées avec des trottoirs dignes de ce nom ; éclairage public fonctionnel et répandu ; taxis en bon état ; beaucoup moins de vendeurs de rue ; nombre impressionnant de voitures (et peu de motos)...

 

Beaucoup nous avaient prévenus: « tu vas voir, le Ghana, c'est vraiment bien, c'est mieux qu'ici, notre développement à côté d'eux ce n'est rien »... Eh oui – on entend beaucoup ce genre de commentaires pessimistes en Afrique de l'Ouest francophone - car beaucoup intériorisent leur soit-disant infériorité. Des siècles de brimades morales (rappelez-vous, pendant plusieurs siècles, les Noirs n'étaient pas considéré comme des hommes) sont passés par là ! Quoi qu'il en soit, nous sommes effectivement impressionnés par le fossé existant entre cette capitale et ses voisines. Le lendemain matin, à la lumière du jour, nous nous rendons compte que cette première impression doit être nuancée : certains quartiers, manifestement plus populaires, se rapprochent de ceux que nous avons pu voir ailleurs, plus de bric et de broc, vivants et en pagaille ; en outre, de toutes les villes et villages que nous verrons par la suite (c'est à dire dans le Sud du pays), seule Accra fait preuve de cette « modernité ». Il n'en demeure pas moins que l'on sent que, malgré les difficultés, le niveau de vie moyen est plus élevé, les gens (certains constituant une classe aisée sans être immensément riche) ont davantage les moyens de sortir et de consommer, ce qui se remarque à l'offre en restaurants, bars et magasins.

 

Nous partons dès le lendemain matin vers la côte ; nous avons prévu un trajet qui la longe jusqu'à la Western region, plusieurs projets jalonnant notre route. Le parcours final sera bien différent de nos prévisions, diverses contraintes nous obligeant à revoir un peu sans arrêt nos plans (indisponibilités, incompatibilités de téléphone, précipitations...), et notamment à effectuer un aller-retour supplémentaire vers Accra. Ça fait partie des imprévus du voyage !

 

Un des intérêts de la côte ghanéenne est son versant historique. C'est en effet de là que partirent de nombreux esclaves vers l'Amérique. Certains des forts construits par les différentes puissances coloniales de l'époque (en l'occurrence, Suédois, Danois, Anglais) ont résisté à l'épreuve du temps et se visitent aujourd'hui ; ils sont remarquablement entretenus, lieux de mémoire comme il n'en existe plus tant que cela en Afrique (par exemple, les forts construits au Togo ou au Bénin ont disparu) ; la plupart ont fait l'objet d'une réhabilitation et disposent de guides compétents qui ont reçu une formation spécifique (ce n'est pas toujours le cas...). Nous sommes allés voir les forts d'Elmina et de Cape Coast : le premier a vu passer 60 millions d'esclaves en 450 ans. Deux tiers (soit quarante millions) d'entre eux sont morts avant d'embarquer... Malnutrition (nourriture jetée par une ouverture dans la voûte des cellules : celui qui attrape en premier mange, les autres meurent), mauvais traitements, conditions d'hygiène inimaginables (250 femmes parquées dans un donjon de peut-être 70 m2, sans douches ni toilettes, dormant à même le sol), choc dû au marquage au fer rouge, etc, expliquent ce « taux de perte » incroyable. Il faut y ajouter l'épuisement physique des esclaves, qui ont déjà parcouru à pied, enchaînés, des distances énormes (certains venaient de Ouagadougou, quelques 700 kilomètres au Nord).

 

Comble du cynisme, après avoir parcouru tant de kilomètres dans des conditions déplorables, les marchands d'esclaves faisaient arrêter leur « cargaison » quelques kilomètres avant l'arrivée sur les marchés aux esclaves jouxtant les côtes ; objectif, redorer le blason quelque peu terni de la « marchandise » : bain dans une rivière, corps enduit d'huile, quelques repas plus substantiels, et le commerce pouvait commencer.

 

Idem pour les femmes emprisonnées avant le départ dans les forts : elles avaient droit à une douche et de beaux vêtements... lorsqu'il s'agissait de préparer leur passage dans le lit d'un des officiers qui les avaient sélectionnées. Celles qui osaient résister étaient laissées dans la cour, sous les yeux de leurs compagnes, sans nourriture et sans eau, clouées au sol sous le soleil avec 8 lourds boulets aux pieds.

 

A noter, la plupart des acheteurs européens du « bois d'ébène » ne pénétraient pas à l'intérieur des terres africaines (trop peu sûr...). L'esclavagisme a donc fonctionné avec la participation active de certains rois africains – des rois d'Abomey au Bénin au fameux Samory Touré (plus connu pour sa lutte active contre le colon français). Ces derniers vendaient comme esclaves leurs prisonniers de guerre, leurs propres esclaves (car l'esclavage était aussi pratiqué dans les sociétés africaines – sans toutefois comporter la dimension de déshumanisation du commerce triangulaire), quelquefois même leur propre peuple.

 

Plus de 2 siècles après la fin de l'esclavage, les stigmates s'en font encore sentir dans la société africaine. C'est un élément à ne pas oublier (on a pourtant tendance à le faire, car ici, presque personne ne nous a parlé de l'esclavagisme contrairement à la (dé)colonisation) lorsque l'on se penche, interrogateur, sur la situation actuelle du continent. Même si, évidemment, cela n'explique pas tout.

 

Au-delà de la dimension historique, la côte ghanéenne est aujourd'hui l'un des pôles économiques du pays. Elle compte plusieurs ports commerciaux importants, donc celui de Tema (1er port du pays, que nous n'avons fait qu'entrevoir de loin le soir de notre arrivée à Accra) et celui de Takoradi, ville où nous avons séjourné quelques jours chez Gina et Thierry, couple franco-ghanéen qui nous a accueilli avec une très grande gentillesse. Takoradi, jumelée avec sa voisine Sekondi, est la troisième ville du pays. L'une et l'autre des deux jumelles apparaissent très différentes ; Sekondi, ville autrefois appréciée des colons, comme en témoignent les nombreux bâtiments d'époque (cf. photos), est aujourd'hui quelque peu à l'abandon, gardant le charme nostalgique d'une douceur révolue. Takoradi quant à elle, plus industrielle, vit grâce au port (exportation de bauxyte, manganèse et autres métaux ; quelques usines de transformation...) – et à la découverte de pétrole au large des côtes. L'exploitation devrait bientôt commencer, mais déjà, les prix des terrains (et du reste, d'ailleurs) se sont envolés et la communauté des expatriés a été renforcée par l'arrivée de techniciens et ingénieurs de tous horizons, français, anglais ou autres travaillant dans le secteur de l'or noire. Quant à savoir si la rente pétrolière potentielle (certains disent que cela va être « du très très gros ») va améliorer la vie des habitants de la région ou du pays, il va falloir attendre...

 

On retrouve certains de ces hommes le soir, en groupe, dans les quelques bars et boîtes « chic » de la ville. La plupart sont déjà fort ivres à 23.00 et continuent à aller de place en place vider verre sur verre, en draguant lourdement les femmes noires présentes – quant ils ne sont pas déjà dans les bras d'une prostituée. Ambiance particulière de ce monde de la nuit argenté (celui des Blancs ou des Noirs aisés), que nous a fait découvrir Gina. Quelques échanges aussi cohérents que possible avec un Anglais plein d'humour, un Breton, un Sud-Africain... On réussit à discuter, on rit même parfois, mais les flots d'alcool qui coulent donnent un goût amer à l'ensemble.

 

Échanges commerciaux donc, le long de cette côte. Mais aussi pêche. Nombreux petits ports traditionnels et colorés. Les hommes et les gamins qui apprennent le métier partent en mer sur leurs embarcations, bois et voile, si fragiles lorsque la houle pointe le bout de son nez, ou reprisent les filets le long de l'eau ; les femmes vendent la pêche du jour : crevettes, poissons de mer, langoustes, octopus frit... Il semble que l'activité revête une importance stratégique : lors de notre passage au port de pêche de Sekondi, et alors même que nous étions en compagnie de Thierry, habitant la ville depuis 20 ans, nous nous sommes vus réclamer nos passeports (que nous n'avions évidemment pas sur nous) pour entrer ! On nous a laissé entendre ensuite que cette sévérité serait due à l'importance croissante des trafics de drogue dans la région – en lien parfois avec les pêcheurs.

 

Voilà voilà, quelques lignes tapées au cours des derniers jours entre deux allers-retours, deux conversations, deux balades... La suite arrive, promis !

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mar.

22

juin

2010

Photos du Ghana part 1

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jeu.

17

juin

2010

Page tournée

Nous avons quitté l'Afrique de l'Ouest. Ça y est. Après 10 mois, nous avons changé de latitude (et presque de continent, il faut bien le dire !); une page se tourne...

 

Derrière nous, nous laissons comme une toile d'araignée : des amis, des contacts, reliés entre eux par un fil plus ou moins solide, et dont nous serions le point de connexion. Nous avons partagé le quotidien, ou simplement rencontré et échangé, avec des dizaines de personnes, familles, couples, célibataires, Noirs, Blancs, métisses, riches, pauvres, engagés ou non, ruraux ou urbains... Chacune de ces rencontres a été un enrichissement, à tout le moins un apprentissage ; chacune nous a donné à mieux comprendre les réalités des 5 pays que nous avons traversés – quand bien même nous n'avons fait qu'effleurer un certain nombre d'entre elles. Tous ont pris le temps de nous recevoir, de discuter avec nous, de partager simplement un moment, une plaisanterie, une confidence. Nombreux furent les rires et les sourires, incroyable la gentillesse dont ils ont fait preuve à notre égard, chaleureux l'accueil dont nous avons bénéficié...

 

Nous laissons les nombreux projets et dynamiques, rencontrés dans des champs aussi divers que la défense des droits humains, l'architecture, l'agriculture, l'éco-tourisme, la lutte anti-corruption, le développement durable / la protection de l'environnement, le développement communautaire... Avec les moyens du bord, le plus souvent faibles et inadaptés, des hommes et des femmes engagés essaient de – et parfois parviennent à – faire avancer leurs communautés, leurs pays. Nombreuses sont les difficultés, au rang desquelles la corruption généralisée, le manque de compétences, mais aussi de moyens matériels et financiers, les problèmes de communication, le climat, … Cela rend les réussites (même si elles sont rares) et les progrès (même s'ils sont lents) d'autant plus admirables. On leur souhaite bonne chance à tous, s'ils nous lisent.

 

Nous laissons les 5 territoires traversés, tous différents les uns des autres. Vous qui nous avez lu, vous en êtes sans doute rendu compte : on ne peut pas parler d'une seule Afrique, comme le font souvent les Européens. « Alors, comment c'est l'Afrique ? ». Impossible de répondre à cette question réductrice. Chaque pays d'Afrique est différent de son voisin, chaque région d'un pays africain est différente de sa voisine. Viendrait-il à l'idée d'un Européen de comparer Suède et Italie, de mettre dans le même sac Alsace et Languedoc ? Nous avons vu 5 capitales, de la bourdonnante Cotonou à la moderne et gigantesque Accra, en passant par le village poussé trop vite de Bamako. Nous nous sommes retrouvés dans des forêts luxuriantes, dans la brousse sèche et aride, nous avons grimpé des plateaux granitiques presque déserts, suivi des côtes aux vagues vengeresses ou plus douces. Nous avons connu une chaleur sèche et terrible dans les pays sahéliens, humide et lourde plus au Sud, dans les régions tropicales ; et le dégoulinement permanent, fatiguant, qui va avec. Et pourtant, nous gardons l'impression de ne rien connaître de ce morceaude continent, tant il est vaste, divers et complexe.

 

Nous laissons les couleurs vives, irradiées d'un soleil omniprésent ; le bruit incessant même la nuit (circulation, voix et rires ; radios, télés allumées chez les gens mais dont le bruit porte jusqu'à la rue, absence de fenêtre oblige ; cris d'animaux domestiques en tous genres ; muezzin, chants catholiques et prêcheurs de rue...) ; les senteurs multiples, agréables ou désagréables ; les vendeurs de rue et échoppes ouvertes tard dans la nuit ; bref, nous quittons ce monde où tous vivent à l'extérieur du fait de la chaleur et du manque d'espace.

 

Nous laissons les regards interrogateurs (qu'est ce que tu viens faire ici ?), les « Toubab / Yovo / Obwoni... », la curiosité spontanée, sympathique ou intéressée, manifestée par les Africains de l'Ouest pour ce couple de Blancs... En Afrique australe, nous ne serons plus les seuls au milieu de la foule, nous nous fondrons davantage dans la masse. Nous retrouverons un certain anonymat reposant.

 

Nous laissons aussi les caniveaux à ciel ouvert (quand ils existent), les amoncellements de déchets et décharges sauvages implantées au milieu des habitations, l'eau non potable, le paludisme (présent tout de même au Nord de l'Afrique australe), les délestages et coupures d'eau ; en bref, nous gagnons une partie du continent plus développée (ce qui ne veut pas nécessairement dire mieux développée).

 

A la fois pincement au cœur et envie de découvrir, encore et toujours. Pensées tournées vers celles et ceux grâce à qui on a aimé le Mali, le Burkina, le Bénin, le Togo, le Ghana... et vers la suite, les rencontres à venir, les contacts à activer. Nostalgie et envie. Ainsi va la vie...

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lun.

14

juin

2010

D'autres photos du Togo

[Edit : nous avons mis en ligne ici le compte-rendu de notre visite à l'Association des femmes juristes du Burkina Faso...]

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lun.

14

juin

2010

Balade à Atakpamé, Togo

Pendant notre séjour à Atakpamé, Claude nous a emmenés en découvrir le cœur.

 

Départ depuis la maison de maman Agnès, un peu excentrée ; on marche 5 à 10 minutes le long d'une route de terre pour rejoindre le goudron. Quartier résidentiel, aéré, route bordée de maisons familiales. Les enfants du quartier sortent des cours à notre approche, chantant les paroles auxquelles nous avons appris à nous habituer : « Yovo yovo bonsoir, ça va bien, mer-ci! ».

 

Au bord du goudron, négociation avec les zems qui nous emmèneront dans le centre ; Claude a du mal à obtenir le bon tarif – les conducteurs veulent plus d'argent puisque ce sont les Blancs qui paient. C'est le jeu, même si c'est frustrant... Court trajet vers le marché ; discussion avec le zem : « alors vous avez vu, la route principale d'Atakpamé est gâtée, alors c'est bien que vous soyiez là, vous pouvez vous rendre compte de notre misère, ici c'est la galère pour tout le monde... il faut nous aider ! Et puis de toutes façons je ne vais pas rester là, chez vous c'est mieux, moi je veux aller là-bas... ». Que répondre à tout cela ? On essaie de démythifier l'Europe (qui fait l'objet, tout comme l'Afrique en Europe, de nombreux préjugés), d'expliquer que ce n'est pas si simple que cela d'y vivre, surtout en tant qu'immigrant. De dire aussi que la solution pour le développement du pays n'est sans doute pas de le quitter... Mais quelle légitimité avons-nous, nous qui venons de là-bas et y retournerons ?

 

Le marché s'étend autour d'une des rues principales, un peu pentue, de la ville. C'est, comme d'habitude sur les marchés africains, un mélange d'un peu tout et n'importe quoi : fruits, légumes et épices regroupés par petits tas de différentes tailles (et différents prix) sur une table en bois ; boutique une peu plus sophistiquées vendant tout, des piles (on a testé, celles à 200 FCFA les 4 ne marchent pas dans notre appareil photo capricieux– faut dire que pour ce prix là, on pouvait toujours espérer) aux cahiers, en passant par les sardines en boîte, les bonbonnes de gaz, le savon... Lorsqu'elles sont encore un peu plus importantes, il arrive qu'elles soient tenues par des Indiens. Le tout au milieu de la circulation, quelques voitures, pas mal de zems, des vélos – dont ceux des vendeurs de Fan Milk, ces glaces à l'eau ou au lait très populaires dans le pays.

 

On grimpe la colline d'abord par une rue pavée assez large, sous le ciel gris – c'est la saison des pluies, il est rare que le ciel reste bleu toute la journée. L'air est lourd et très vite, nous dégoulinons. Nous saluons au passage les commerçants et les gens qui, tout simplement, sont assis devant leurs maisons ; les regards et visages s'éclairent alors d'un large sourire, permettant parfois un début de conversation ; d'où venons-nous, comment trouvons-nous l'endroit, combien de temps restons-nous, sommes-nous frère et sœur ? Quand nous répondons à cette dernière question que non, nous sommes un couple, immanquablement on nous dit que nous sommes un « très joli couple » (un sud-africain passablement ivre rencontré au Ghana nous a quant a lui qualifié de « fucking lovely French people » !) et on nous souhaite beaucoup de bonheur, de mariage, d'enfants... La balade reprend ensuite ; on traverse une zone plus pentue que la route contourne, les maisons sont plus proches, plus pauvres aussi, le chemin en latérite monte dru. Quelques épis de maïs sont plantés à un endroit où il s'élargit – il faut profiter de tout terrain disponible... Les gens vaquant à leurs occupations : une femme lave le linge, deux vieux palabrent et s'interrompent pour saluer Claude, un groupe d'enfants observe, très intéressé, ce qui se passe à l'intérieur de l'enclos d'un cochon. Nous continuons à grimper pour arriver à l'antenne qui se dresse au sommet de la colline : Claude veut nous montrer le panorama sur la ville. Nous saluons l'employé de la sécurité...

 

Et là, c'est le drame : le monsieur commence à nous chercher des noises :  « vous ne pouvez pas venir sur le site car vous êtes des étrangers, vous devriez demander une autorisation, avoir vos passeports, et toi (Claude) tu devrais avoir ta carte d'identité sur toi car en tant qu'autochtone tu es responsable d'eux, tu aurais dû savoir avant de venir que ce n'était pas autorisé comme ça », etc etc, pendant 10 minutes. Quand on répond que tant pis, on voulait juste voir la vue mais que si ce n'est pas possible, nous allons partir, le type se radoucit et nous dit « Non, vous pouvez tout de même aller jeter un coup d'œil, c'est juste derrière ». Bon, voilà autre chose. Nous y allons donc, et c'est vrai que la vue est jolie, la ville s'étend à flancs de colline, toits de tôle pointus et rouillés au milieu de la végétation luxuriante. Après quelques minutes, nous repartons ; et comprenons d'un seul coup l'attitude du type de la sécurité qui, sur nos talons, nous souhaite bonne route et ajoute « Et pour la bière ? ». On lui répond que ce n'était pas prévu, la bière, et on part sans demander notre reste. Tout ce cinéma, c'était donc pour ça. Exemple typique d'une forme de petite corruption, quasi insignifiante (quand bien même nous aurions payé une bière), mais bien présente partout et symptomatique...

 

Retour vers le marché en passant par la route cette fois. En repassant au marché par de petits passages tortueux dans lesquels l'on peine à se croiser, on en profite pour acheter de quoi goûter : Fan Milk aux fruits tropicaux et bananes (délicieuses). On grimpe l'autre versant de la colline, toujours accompagnés par les salutations des personnes que l'on croise. Quelques belles maisons, le quartier et plus chic. On débouche sur un des lycées privés de la ville, catholique. Des jeunes jouent au foot ; l'un des pères du lycée nous salue, on échange quelques minutes, conversation sympathique. Il parle de la nécessité pour les hommes de s'inspirer du modèle social des fourmis, entraide, solidarité, partage : si elles réussissent à le faire, pourquoi pas nous ? Sur cette conclusion philosophique, nous prenons le chemin du retour...

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lun.

14

juin

2010

Résumé du séjour togolais

Comme le lapin d'Alice au pays des merveilles, nous sommes toujours en retard en ce moment... Déjà une semaine que nous sommes au Ghana et nous n'avons toujours pas évoqué nos aventures togolaises. Alors, en bref...

 

Nous avons commencé par quelques jours à Lomé, sur un rythme tranquille, toujours en compagnie de Benoît. Des projets, de la culture, un peu de loisirs aussi... Puis quelques jours à Kpalimé, zone montagneuse à la frontière avec le Togo, au milieu des plantations de teck, de cacaoyers et de caféiers. Pour finir avec quelques jours à Atakpamé, dans le centre du pays, la région des hauts-fourneaux, elle aussi montagneuse et verdoyante en cette saison.

 

Lomé

 

Le séjour à Lomé, en dehors des rendez-vous « projets », a été l'occasion de profiter des plaisirs offerts par une capitale. Avec notamment...

 

une soirée au théâtre : Les monologues du vagin : mise en scène originale, actrices excellentes, une très bonne soirée. En plus, voir la pièce au Togo revêt un intérêt particulier : la sexualité reste un tabou dans les pays d'Afrique sub-saharienne (d'une manière générale mais peut-être encore davantage en milieu musulman). En l'occurrence, le public était au rendez-vous, majoritairement togolais – et masculin ; la pièce a été très bien accueillie, à l'exception d'une certaine réserve / désapprobation marquée lors du bref passage consacré à l'homosexualité. Voilà un sujet qui fait polémique, ici comme partout...

 

... quelques heures à la piscine. Eh oui, comme déjà dit, l'océan s'avère ici fort dangereux à cause des rouleaux et des courants. Pas facile de se baigner en toute quiétude – sauf à aller à la piscine. Par rapport au niveau de vie local, c'est cher car seuls les hôtels de luxe proposent l'accès à leurs piscines. Mais qu'est-ce que ça fait du bien ! Détail rigolo : de la musique des années 60 à 80 était diffusée, ce qui donnait au bain un petit côté rétro (Jolie bouteille, Aline, Abba, « si je pouvais me réveiller à ses côtés ... », « personne ne sait que tu m'as quittée pour elle », …) ; on s'est rendu compte ensuite que pas mal d'endroits, même des maquis à la clientèle majoritairement togolaise, passaient ce genre de musique. On n'a trouvé ça nulle part ailleurs : en général, musique africaine au menu, et souvent du « coupé décalé » ivoirien...

 

une projection – débat autour du film « Cameroun, autopsie d'une indépendance » (cf. précédent post) organisée par le centre Mytro Nunya. Très intéressants échanges sur la responsabilité des uns et des autres (ex puissances coloniales, dirigeants africains, peuples africains) dans la situation des pays africains aujourd'hui, sur la nécessité des réconciliations nationales, sur le rôle de l'Histoire dans le développement d'une démocratie, sur la nécessité du partage de la vérité ou au contraire de l'oubli, …

 

la visite du musée national. Pas très grand, comme le sont souvent les musées africains, mais bien documenté. Objets de la vie quotidienne, des dabas (houes locales) aux objets « fétiches », en passant par les instruments de musique, les armes (notamment servant à la chasse), une présentation des hauts-fourneaux utilisés dans la région d'Atakpamé. Et explications sur les techniques de fabrication traditionnelle. Petite partie historique, où nous avons appris que le pays, initialement colonisé par les Allemands, a été divisé en deux protectorats après la seconde guerre mondiale, l'un revenant aux Anglais, l'autre aux Français. Les Anglais intégrèrent leur partie dans l'actuel Ghana tandis que les Français, tenté un moment de joindre la leur au Dahomey (actuel Bénin), décidèrent finalement de conserver un territoire distinct. Exemple supplémentaire, s'il en était, du total arbitraire avec lequel les frontières africaines ont été tracées.

 

Atakpamé

 

Petite ville au milieu des montagnes togolaises, Atakpamé est un lieu de passage obligé pour les camions lourdement chargés en provenance et à destination des pays enclavés du Nord (Niger, Mali, Burkina), qui profitent du port autonome de Lomé pour exporter leurs matières premières et importer tous les produits transformés dont ils ont besoin. D'où une atmosphère particulièrement animée, notamment le long des goudrons, avec une multitude de petites échoppes en tous sens, quatre bouts de bois et une tôle, parfois même pas. Poissons séchés, mangues, ananas, avocats, gari (poudre de manioc), pain (en fait une sorte de pain brioché salé ou sucré, à la croûte croquante)... Pour nous, quelques jours au calme, très bien accueillis par « maman Agnès » et son petit neveu Claude, agrémentés d'une découverte de la ville et d'une escapade dans la plantation de tecks et palmiers à huile familiale – malheureusement ravagée par un feu de brousse... déclenché volontairement par des chasseurs d'agouti (sorte de gros cochon d'Inde qui se mange) : il n'y avait personne pour surveiller le terrain, autant en profiter...

 

Kpalimé

 

Également nichée au cœur des montagnes (Mont Kloto, Pic d'Agou), la ville a de tous temps été appréciée par les Blancs, d'abord colons allemands, puis français, aujourd'hui expatriés, pour son climat – le meilleur du pays apparemment. Et aujourd'hui, la région concentre d'ailleurs le plus grand nombre d'ONG du pays... Nous n'avons fait qu'une brève expédition d'une journée en ville, accompagnés de Boukari. Le temps de voir son marché coloré, sa cathédrale d'inspiration germanique (un instant, on se serait crus transportés au fin fond de la Bavière), de tester un maquis, d'acheter quelques fruits et légumes... Car il s'agit aussi de la principale zone de production du pays : ananas, papayes, avocats, bananes, mangues mûrs à point ; manioc, igname, maïs, … Tout comme à Atakpamé, on en a bien profité. Il sera difficile de revenir aux avocats et bananes vendus en France !

Kpalimé est aussi le secteur d'implantation premier des plantations de café et cacao. Toutefois, il semble qu'au plan économique, le secteur ne soit pas en bonne santé.

Nous avons quant à nous passé de très bons moments en compagnie de Boukari, sur l'exploitation familiale à quelques kilomètres de la ville, à évoquer les questions agricoles mais également plus généralement la situation politique, économique, sociale du Togo.

 

Projets et problématiques

 

Le Togo est un pays riche. Riche en minerais, riche en terres fertiles dans la moitié sud du pays, avec un climat favorable à la culture, riche d'un accès à la mer, bref, riche de diverses matières premières qui pourraient en faire un pays prospère s'il était correctement géré et si ces matières premières n'étaient pas exploitées au bénéfice de pays et entreprises étrangères – comme cela est largement le cas. Nous nous sommes intéressés à certaines de ces questions au cours de notre séjour.

 

Nous avons parlé avec plusieurs personnes de la problématique des phosphates au Togo (pas de noms car le sujet est fort sensible). Le phosphate togolais est d'excellente qualité, parmi les meilleurs au monde ; c'est pourquoi il a été exploité depuis les années 60 par une société togolaise qui a changé plusieurs fois de nom, aujourd'hui l'Office togolais des phosphates. Le problème, c'est que la gestion de l'OTP est loin d'être exemplaire, à plusieurs niveaux. D'abord, les conditions d'exploitation sont un vrai scandale en termes d'impact sur la santé des personnels et des habitants des environs, ainsi que sur l'environnement. Fluoroses, nombreux accidents du travail, nappes phréatiques non protégées, perte importante de biodiversité, rejets massifs de substances chimiques dans l'atmosphère et de phosphates en mer... Pas très rose. Au niveau financier, ça n'est pas beaucoup mieux : il est connu que la société servait de porte-monnaie au Gal Eyadéma (l'ancien président) et à quelques proches, la quasi-totalité des revenus générés par l'exploitation aboutissant directement dans leurs poches. Enfin, pas de création de revenus par la société : exportation directe du matériau, sans transformation sur place – mais relativisons ce dernier élément puisque c'est presque une norme en afrique : la création de valeur se fait ailleurs, seules les matières premières sont exportées...

 

Nous avons aussi rencontré des organisations du monde agricole pour discuter avec eux des problématiques rencontrées par le secteur (1er secteur d'activité dans tous les pays traversés, loin devant l'industrie et les services) : production, stockage, exportation, tarifs, relations avec les pouvoirs publics, fonctionnement des groupements, etc. Là encore, nous avons beaucoup appris et mieux compris les enjeux du secteur, que nous avons également abordés lors de notre séjour dans la ferme familiale de Boukari, près de Kpalimé. Exploitation agricole d'une centaine d'hectares (ce qui est rare, la production étant en général explosée en petites exploitations souvent inférieures à 3 hectares), près d'une rivière, une terre sur laquelle tout pousse, du teck aux tomates, du palmier à huile au maïs... Et une vraie vision écologique (pas d'utilisation de fertilisants autres que naturels ou de pesticides, pas de monoculture, respiration des sols, compostage, ...) ainsi que sociale et pédagogique (formation des ouvriers agricoles, accueil de stagiaires)... Nous avons passé là quelques jours très agréables, profitant de la fraîcheur relative des montagnes avoisinantes, très bien accueillis et dynamisés par des discussions intéressantes.

 

Nous avons également, dans la lignée de notre visite à Eco-Bénin au Bénin, essayé de voir dans quelle mesure la dynamique du tourisme équitable / de l'éco tourisme était présente dans le pays, en rencontrant à Kpalimé l'équipe de l'Association pour le développement du Togo Profond (ADETOP). Il semble que globalement, le secteur du tourisme ait souffert de l'image dégradée du pays au niveau international – et du retrait des bailleurs de fonds entre les années 1990 et 2005. Mais un compte-rendu plus détaillé suivra (on essaie aussi de rattraper notre retard de ce point de vue !).

 

Enfin, s'agissant des droits de l'homme, nous avons rencontré, avec Benoît, André Afanou du Cacit (Collectif des Associations Contre l'Impunité au Togo), qui a évoqué l'action de son association en faveur des victimes du régime répressif du Général Eyadéma.

 

Voilà, un long article résumant ces quelques 15 jours passés dans « la Suisse de l'Afrique », avant de passer le 1er juin la frontière avec le Ghana...

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