Le village solaire de Hon

Les 7 et 8 mai 2010, nous avons rencontré les responsables de l'Association béninoise pour l'éveil et le développement (ABED), qui a mené avec certains partenaires un projet d'électrification en milieu rural en utilisant l'énergie solaire. La problématique de l'électrification est récurrente dans les pays d'Afrique de l'Ouest – avec au Bénin par exemple, 3 % environ du milieu rural électrifié, toutes les difficultés de développement que cela implique et tous les facteurs de pollution qui y sont liés (utilisation de carburant pour les groupes électrogènes, etc).

 

Nous nous sommes entretenus avec M. Gnimadi, le vice-président, M. Ayelolou, le chargé de matériel et M. Zinzindohoue, le coordinateur exécutif du projet. Nous avons également échangé avec certains habitants du village de Hon, où nous nous sommes rendus, en particulier Mme Togbe Azouazi, technicienne du centre de maintenance, le directeur de l'école, et le chef du village.

 

La genèse de ce projet remonte à une rencontre entre M. Rawls, directeur du Barefoot College en Inde, et de Mme Adéjoumou, Béninoise établie en France, qui travaille en étroite collaboration avec l'ABED. Le Barefoot College a en effet lancé une stratégie d'électrification rurale en Inde – la rencontre aboutit donc à imaginer que cette stratégie pourrait être étendue à l'Afrique, et par exemple au Bénin. Un exemple de collaboration Sud-Sud.

 

Une fois le projet élaboré et les partenaires financiers trouvés (PNUD, Fonds pour l'Environnement Mondial, gouvernement Béninois), M. Rawls s'est déplacé au Bénin afin de sélectionner -selon les principes du Barefoot College- deux femmes illettrées, afin qu'elles soient formées pendant 6 mois en Inde. A leur retour, les kits d'électrification (composés d'un panneau, une batterie, 2 lampes et les câbles nécessaires) ont été livrés en 2008 pour installation. Le village solaire a ainsi été inauguré en 2009, avec 207 kits installés à Hon et 100 à Koussoukpa, autre village de la région intéressé par l'expérience. Les deux techniciennes formées en Inde et leurs 2 assistants, après avoir installé les panneaux, assurent la maintenance générale du système.

 

Nous avons discuté avec l'une d'entre elle qui nous a expliqué que l'apprentissage en Inde avait été difficile dans la mesure où elles ne parlaient ni français, ni anglais (on a bien voulu la croire !).

De plus et par malchance, les outils et documents fournis à l'issue de la formation ont été égarés lors du vol retour. Ceci s'est donc ressenti lors de la mise en place des kits avec des problèmes de montage récurrents. La venue de techniciens Indiens a permis de solutionner les principaux problèmes (mauvaise orientation des panneaux et mauvaises connexions des fils).

Plusieurs membres du village se sont montrées critiques quant à l'absence de formation de personnes lettrées ou semi-lettrées en accompagnement des deux techniciennes (car, par exemple, elles n'ont pas pu prendre de notes sur les enseignements et ne peuvent que difficilement transmettre certains acquis car ne savent pas l'exprimer dans leur propre langue). Critique dont la pertinence est difficile à mesurer dans une société où les « intellectuels » sont les seuls ayant voix au chapitre et marquée manifestement par des profondes jalousies à l'égard de qui bénéficie d'une formation, d'un salaire, etc, comme les 2 femmes en question.

En tout état de cause, l'ensemble des kits semble aujourd'hui fonctionner correctement. L'équipe est en mesure de résoudre la plupart des pannes ou d'identifier les pièces défectueuses afin de pouvoir les commander. Seul le système solaire du local technique est défectueux et ne permet pas d'être utilisé à pleine puissance (les pièces nécessaires ne sont pas encore parvenues au village). Notons que la technicienne estime qu'on pourrait doubler le nombre de kits (de 200 à 400) sans qu'il y ait de difficulté majeure pour assurer la maintenance avec les effectifs actuels.

 

Les villageois équipés que nous avons rencontrés nous ont fait part, en globalité, d'un niveau de satisfaction bon voire très bon. En termes de services énergétiques, le kit permet, d'après eux, d'éclairer la maison grâce aux deux ampoules puissantes fournies, de 19h à 22h – minuit. La lumière ainsi obtenue permet en soirée aux enfants d'étudier, aux commerces et artisans (3 coiffeurs, 10 tailleurs) de travailler plus tardivement (la nuit tombe vers 18.30), etc. Les ménages peuvent en outre recharger leur téléphone portable sans avoir à se déplacer jusqu'au village voisin, et écouter la radio – souvent la seule source d'information dans les villages africains. En outre, les conditions de vie se sont améliorées, avec moins de fumées issues des lampes à pétrole.

 

Les villageois ont cependant évoqué un service énergétique hautement demandé qui n'est actuellement pas satisfait : l'usage d'une veilleuse en mesure d'assurer une légère luminosité toute la nuit (les gens n'aimant pas dormir totalement dans le noir).

 

Cette satisfaction se matérialise notamment par l'existence d'une demande importante, bien au-delà des capacités actuelles d'équipement : beaucoup de dossiers sont en attente.

 

Cette demande importante a permis de mettre en place un système de sanction des mauvais payeurs (amende et retrait du kit au profit des personnes sur liste d'attente). En effet, les usagers paient une redevance d'un montant de 50FCFA par jour, soit 7,5ct€, ce qui représente un montant de 1500 FCFA par mois. Cette somme sert pour partie à rembourser le matériel, pour partie à verser les salaires des personnes employées pour le projet (techniciennes, assistants, coordinateur, …) et revient pour partie à la communauté (cf. ci-dessous).

 

Or, ce montant est jugé trop important pour des paysans pauvres et une certaine fronde à l'encontre de cette redevance existe dans le village ; les dysfonctionnements initiaux ont également été mis en avant pour justifier des refus de paiement. Cette critique nous a semblé d'une certaine mauvaise foi, étant donné qu'elle s'inscrit dans un contexte particulier : le montant de la redevance a été fixé par référence aux dépenses en pétrole pour l'éclairage payées antérieurement par les villageois, sur la base de leurs déclarations. Il se trouve que, comme souvent ici en Afrique, les villageois, voyant arriver un projet d'ONG, ont cru qu'ils allaient recevoir de l'argent. Il semble donc qu'ils ont eu tendance à gonfler les chiffres de leur consommation (3000 FCFA par mois), croyant qu'ils recevraient ainsi davantage. En réalité, ils favorisaient une redevance plus élevée (puisqu'elle vient en substitution des dépenses en pétrole). En tout état de cause, la redevance a été fixée à 50% des dépenses de pétrole annoncées spontanément. Le montant de la redevance réellement payée n'est donc sans doute pas éloigné des dépenses antérieures des paysans, voire inférieur, pour un service de bien meilleure qualité.

En outre, cette critique nous a semblé d'autant moins pertinente que nul n'est contraint de disposer d'un kit solaire chez lui et que la demande est forte. Au final, constat un peu triste mais malheureusement fréquent, certains voudraient toujours plus pour moins cher, alors même que le projet a été largement subventionné. La responsabilité ne revient sans doute pas seulement aux villageois : d'après nos constats depuis notre arrivée en Afrique, si la mentalité d'assistanat est souvent développée par les bénéficiaires de projets dans la relation avec les ONG, les stratégies des ONG ne sont pas non plus toujours adaptées aux réalités de terrain et l'approche des communautés n'est pas forcément correctement menée. En l'occurrence, n'ayant pas pu nous entretenir avec les initiateurs du projet, nous n'avons qu'un regard incomplet sur la stratégie qui a été menée.

 

D'autres critiques ont été formulées. Ainsi, dans le projet initial, une partie (25 à 30%) de la redevance devait être reversée à la communauté (qui souhaite notamment lancer un appel d'offre pour la construction d'un centre de santé), ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. Il semble que les défauts de paiement récurrents soient à l'origine de cette situation, mais qu'un premier versement devrait intervenir très prochainement. Autre critique saillante : l'absence d'électrification de l'école et de sa bibliothèque, qui ne semblent toujours pas à l'ordre du jour malgré une promesse initiale.

 

Par ailleurs, la constitution du Comité Villageois d'Electrification (CVE) a été difficile à mettre en place, car ses membres s'attendaient à être rémunérés. De plus, il semble que des jalousies et des intérêts personnels aient troublé son organisation. Apparemment, les choses sont depuis rentrées dans l'ordre et le CVE est opérationnel.

 

Nous n'avons pu avoir accès aux grands équilibres financiers du projet, il nous est donc actuellement impossible de savoir dans quelle mesure il pourrait se répliquer (le Président de la République Béninois avait demandé à l'ABED en 2007 d'électrifier 1000 villages d'ici 2011... ce qui paraît évidemment compromis). Néanmoins, l'ABED continue son travail et devrait organiser une session de formation sur place en juin prochain afin d'accroître les capacités locales.

 

En somme, ce projet pilote d'électrification rurale nous semble fort intéressant car il correspond à une véritable amélioration des conditions de vie villageoises. Cependant, il n'est pas sans difficultés (à tous les niveaux : formation, matériel, organisation sociale, stratégie de déploiement, financements...) et beaucoup de travail reste à mener avant que tous les Béninois ruraux aient accès à la lumière après 19h...