Le Centre de séchage des fruits tropicaux

« Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel » (Fairtrade Labelling Organizations International, International Federation of Alternative Trad, European Fair Trade Association).

 

Lors de notre passage à Abomey, nous avons visité le centre de séchage des fruits tropicaux (CSFT), initiative de commerce équitable remontant à 1997. Deux associations, l'Association Aide technique Bénévole France (ATB-France, basée à Annemasse et créée par un couple franco-béninois, M. et Mme Kakpo) et l'Association Aide technique bénévole au développement- Bénin (ATBD-Bénin, créée au Bénin par Apollinaire Ahanzo), en sont à l'origine.

 

Le CSFT est le seul centre de production de fruits séchés du Bénin (un autre centre existait mais a dû fermer, faute de débouchés et en raison d'une qualité insuffisante de ses produits). Cette situation apparaît paradoxale dans un pays où, comme chez les voisins de la sous-région, les arbres fruitiers (mangues, ananas, bananes, …) ploient sous des fruits délicieux pendant la haute saison. Faute de débouchés (la consommation locale reste assez faible par rapport à la production), les fruits pourrissent par centaines. Gâchis immense au regard du potentiel économique que représente, dans des pays dits sous-développés, la transformation de ces fruits en jus, fruits séchés, compotes, confitures : création d'emplois, augmentation des revenus, création de filières, …

 

Mais tout n'est pas si simple : encore faut-il disposer des compétences et du capital nécessaire au lancement d'une activité économique. Pas donné à tout le monde – le CSFT a eu la chance de bénéficier d'appuis extérieurs. En effet, partant du constat d'une situation économique difficile (33 % de la population sous le seuil de pauvreté, 161ème / 175 pays au classement IDH de 2004), les deux associations ont eu l'idée de créer des emplois, notamment pour les femmes, grâce à une petite industrie de transformation de produits agricoles. Un partenariat est noué, duquel naîtra le CSFT.

 

Dans un premier temps, six Béninois sans emploi partent au Burkina Faso (Centre Ecologique Albert Schweitzer) se former aux techniques du séchage ainsi qu'à la construction et l'entretien de séchoirs solaires et à gaz. A leur retour, en 1997, et après l'achat par les deux associations d'un terrain à Abomey, le CSFT est construit... Les premiers essais de production se montrant concluants, des marchés sont cherchés et trouvés par l'ATB-France auprès de diverses organisations de commerce équitable. Le projet est lancé, et se développe dans les années qui suivent, avec notamment l'extension et la mise aux normes européennes du CSFT, ainsi que l'encadrement du personnel (amélioration de la qualité de la production et de la gestion, sous la houlette de Volontaires du Progrès), assurés à partir de 2000 grâce à une participation de l'Ambassade de France, complétée par l'ATB- France.

 

En quoi consiste donc l'activité du CSFT ? Il s'agit de la production de fruits tropicaux séchés (ananas, mangue, banane, papaye), de jus de fruits (mangue et ananas), de purée d'ananas et de sirop d'ananas.

 

Le CSFT travaille avec environ un millier de producteurs, regroupés en deux catégories : les producteurs certifiés « équitable », auxquels les fruits sont achetés 100 FCFA le kilo (0,15 cts d'euro), et les autres producteurs, auxquels ils sont achetés 85 FCFA le kilo (soit dans tous les cas un prix de gros supérieur à celui pratiqué en « non équitable »). La totalité de la production n'est donc pas équitable, mais le principal fournisseur d’ananas, l’Union des Groupements de Producteurs d’Ananas de Toffo (UGPAT), rassemblant 152 producteurs, a obtenu la certification Fairtrade. Les responsables du CSFT mentionnent en outre que certains des producteurs sont actuellement en phase de conversion vers l'agriculture biologique.

 

L'ananas est le fruit le plus utilisé dans la production, pour la simple et bonne raison que le fruit est disponible toute l'année ; la mangue par exemple ne l'est que d'avril à juillet. Les fruits utilisés sont produits au Bénin, un numéro étant affecté à chaque livraison afin d'assurer la traçabilité des fruits.

 

La production du produit fini (sur les photos, l'ananas séché) passe par diverses étapes. Tout d'abord, on retire la couronne des fruits. Puis, ils sont lavés (eau + brosse) et rincés, afin d'enlever la poussière. Il faut ensuite en retirer les peaux (soit jetées dans les champs voisins comme compost, soit achetées par des « petites dames » pour faire de la tisane contre le paludisme), et enfin les « yeux » (également vendus pour faire du nectar d'ananas, ainsi que la partie centrale que certains mangent). Ainsi, rien (ou presque), sur les 14 à 16 kilos d'ananas frais nécessaires pour produire un kilo d'ananas séché, ne se perd...

 

Enfin, étape finale de la préparation du fruit, la chair de l'ananas est découpée en morceaux. Ce sont ces morceaux qui seront placés dans les séchoirs, dans lesquels ils seront chauffés pendant une heure à une heure et demi à 110°C ; ils continuent ensuite de sécher sur des claies pendant 24 heures. L'opération de séchage est effectuée au gaz – et la consommation est importante.

 

Les fruits séchés (que l'on nous fait goûter au passage : c'est délicieux) sont ensuite conditionnés dans des sachets pratiquement sous vide, sur lesquels sont collées les étiquettes de traçabilité – qui mentionnent la date de péremption du produit. Précisons qu'en milieu de commande, 3 échantillons du produit sont prélevés et envoyés au client afin qu'il vérifie que la commande répond bien aux standards attendus. En outre, le produit est contrôlé par la Direction de l'alimentation et de la nutrition appliquée béninoise.

Les produits sont à 95% exportés vers la France, la Suisse, la Belgique, l'Autriche, sous un label « commerce équitable », une toute petite partie de la production étant vendue localement (jus d'ananas). Les centrales de commerce équitable (Solidar'monde en France, Claro en Suisse) effectuent des prévisions de commandes en début d'année et les pré-financent, ce qui permet au CSFT d'acheter la matière première et le gaz, et de faire une avance aux producteurs. Elles assurent aussi des opérations de contrôle de la qualité des produits. Le prix d'achat du produit par les centrales est de 5200 FCFA (8 euros) le kilo (ou 525 FCFA les 100 grammes) ; le prix de revente en Europe est évidemment plus élevé (4,9 euros les 250 grammes soit 19,6 euros le kilo chez Solidar'Monde / Artisans du Monde), mais il inclut tous les coûts générés par le transport et les différentes taxes.

 

Une trentaine de personnes sont employées, pour l'essentiel des femmes ; le responsable mentionne que le CSFT est ouvert à tout public, mais que d'une manière générale, davantage de femmes sont intéressées pour y travailler. Lors de notre passage au centre, le nombre de personnes présentes était nettement inférieur à 30 (une quinzaine) : notre interlocuteur nous explique que, cette année, « il y a eu un trou dans les commandes à cause de la crise... ». Trois statuts différents existent : les salariés permanents, fortement impliqués dans la direction du centre ; les contractuels, qui travaillent à plein temps et auxquels est garanti un salaire minimum, correspondant au SMIG du pays, c'est à dire 36 125 FCFA (55 euros) par mois (pour des journées de 8 heures – étant précisé que certains employés travaillent aussi de nuit car il faut évidemment vérifier que le produit ne brûle pas dans les séchoirs !). Enfin, les autres employés sont des journaliers rémunérés au nombre de fruits traités (de la couronne au rinçage final), à 25 FCFA (0,04 euros) les deux fruits.

 

C'est donc principalement par l'assurance de la stabilité des rémunérations tant des salariés contractuels que des producteurs (qui bénéficient de prix fixes) que l'équité du projet est assurée ; la situation des journaliers du CSFT (majoritaires parmi les salariés) pourrait quant à elle être davantage consolidée...

 

Le projet permet par ailleurs de valoriser des ressources locales et de développer un projet de nature entreprenariale, ce que l'on ne peut que saluer dans un pays où le secteur privé (autre qu'informel) est cruellement absent. Soulignons que le CSFT est le 1er employeur privé dans une agglomération comptant près de 90 000 habitants...

 

Encore faut-il que la rentabilité économique de l'entreprise soit assurée à l'avenir, ce qui passe par la pérennisation et le développement des débouchés, ainsi que par la création d'une véritable filière. De ce point de vue, la certification « commerce équitable » est censée jouer un rôle puisque le client s'engage en principe à assurer la stabilité des relations commerciales. Toutefois, d'après nos interlocuteurs, des contraintes empêchent le développement de l'activité, la principale d'entre elles étant la demande : « Si les commandes augmentent, l'activité suit ». D'après les responsables du CSFT, une forte demande de travail est exprimée par les femmes employées (notamment les journalières). Précisons tout de même que la capacité maximale de production est, à l'heure actuelle, de 2 tonnes (capacité de la salle de stockage) : au cas où la demande augmenterait, il faudrait sans doute réfléchir à augmenter cette capacité de production.

 

Les membres du CSFT expliquent qu'une autre difficulté réside dans la mauvaise organisation de la filière « fruits et légumes » au Bénin. Ils donnent l'exemple des difficultés rencontrées pour travailler avec les sociétés de navigation s'agissant de l'expédition des produits par bateau (demandée par les centrales de commerce équitable car plus respectueuse de l'environnement). En effet, pour des raisons de rentabilité, ces sociétés préfèrent travailler avec des secteurs non soumis à des aléas saisonniers, exportant toute l'année, comme les exportateurs / importateurs de véhicules. Tel n'est pas le cas des producteurs de fruits et légumes. L'envoi des produits se fait donc par avion. En tout état de cause, la quantité produite serait insuffisante pour remplir un container, c'est-à-dire 12 à 20 tonnes (comme il a été dit plus haut, les capacités de production sont encore limitées), et la réglementation interdit le groupage de différentes produits agro-alimentaires pour des raisons de traçabilité. On pourrait concevoir que le produit soit stocké en attendant qu'une quantité suffisamment importante soit produite – mais, outre le fait que cela ne permettrait pas de faire face aux diverses commandes dans les délais, il semble que le produit ait tendance à changer de couleur lorsqu'il est conservé à des températures élevées.

 

Malgré ces difficultés, l'activité du CSFT s'est maintenue pendant plus de 10 ans, ce qui est suffisamment rare dans le milieu des ONG pour être souligné – et est une preuve de la rentabilité de l'activité. D'ailleurs, l'actuel statut associatif du CSFT doit évoluer (incité en cela par l'Etat béninois) vers un statut entreprenarial (qui entraînera des coûts supplémentaires pour la structure : davantage d'impôts et de taxes à payer). En effet, il semble que le statut initial ne soit pas tout à fait clair notamment s'agissant du droit d'exporter des produits, en principe réservé aux structures ayant le statut de société. Quoi qu'il en soit, la demande d'immatriculation d'une société a été déposée à la fin 2009 auprès de l'administration béninoise.

 

Si vous souhaitez apporter votre petite contribution, vous pouvez acheter les ananas séchés notamment dans les magasins « Artisans du monde » (ou sur Internet). Vous pouvez aussi aider directement l'une des deux associations (liens ci-dessus).