Le REN LAC : réseau de lutte anti corruption au Burkina Faso

Pour en savoir plus que ce qui suit sur les travaux du REN LAC, visitez leur site internet.

 

Nous avons rencontré le 23 avril dernier Maxime Nikiéma, professeur de sciences économiques anciennement au service du CNRST (Centre National de Recherche Scientifique et Technique), en disponibilité auprès du REN LAC en tant que chargé de programmes. Il nous a parlé, très librement (malgré les risques, qui sont assumés) des activités menées par ce Réseau national de lutte anti-corruption au Burkina Faso, ainsi que du régime au pouvoir. Car pour lui, le combat pour la liberté d'expression, bien que difficile (cf. la disparition du journaliste Zongo qui a enquêté sur l'assassinat du chauffeur de François Compaoré, frère du Psdt) ne doit pas cesser.

 

On le sait, la corruption est endémique dans les pays d'Afrique de l'Ouest (n'oublions pas cependant les scandales financiers et autres qui agitent nos pays dits développés, les procédures de passation de marchés publics pas toujours très claires malgré l'existence de règles contraignantes, …). Elle touche toutes les couches sociales, de l'ouvrier ou l'agent public « de base » aux plus hauts sommets de l'Etat, prenant diverses formes.

 

Pour M. Nikiéma, dans le cas spécifique du Burkina, tout est bâti sur un système de corruption, quel que soit le domaine envisagé : dans l'administration, à l'hôpital (pour être soigné, pour avoir un lit), à l'école (vente de places dans les établissements publics)... La corruption est devenue la norme, le système de gestion usuel. Ce qui s'avère particulièrement inquiétant, car cela change le référentiel et les repères de tous. Rappelons que Burkina Faso signifie « pays des hommes intègres », ce qui n'était surement pas faux il y a encore quelques décennies. Maxime Nikiéma explique qu'avant l'arrivé de Blaise Compaoré au pouvoir (en 1987), les dirigeants ne s'étaient pas accaparés les richesses du pays (Sangoulé Lamizana, Thomas Sankara notamment avaient une vie très simples et sont morts presque pauvres). Aujourd'hui, cet accaparement est pratiqué à grande échelle... accompagné d'un peu de mercenariat au Libéria, en Sierra Leone ou en Angola. M. Nikiéma explique que certaines personnes sont devenues très riches grâce à la corruption et nous suggère de nous balader dans le quartier de Ouaga 2000 pour constater ce niveau de richesse. Il ajoute que certaines villas ne sont pas habitées, simple investissement économique pour blanchir l'argent.

 

Une des pratiques frauduleuses citée en exemple est l'existence de marchés attribués de gré à gré s'élevant à plusieurs milliards de FCFA. C'est ainsi que la réfection de certaines routes de Ougadougou aurait été attribuée à une entreprise détenue par la belle-mère du petit frère du chef de l'Etat, laquelle entreprise ne possède pas les compétences techniques pour réaliser un tel chantier. Le résultat risque donc d'être catastrophique (avec par exemple des risques accrus d'inondations)

 

Nous-mêmes avons été confrontés à certaines pratiques à notre échelle, dans les différents pays traversés : on a pu observer celle du « cahier de contrôle » présenté par les transporteurs routiers aux forces de police et de douane sur les différentes voies que nous avons empruntées : à l'intérieur, quelques billets, sans lesquels il est impossible de passer... Plusieurs de nos hôtes nous ont expliqué que, pour accélérer le traitement d'un dossier, ou le raccordement à un réseau d'eau, d'électricité, etc, il faut « mettre un caillou » sur le dossier pour le rendre plus lourd... Pour obtenir des marchés (publics ou privés), l'entreprise candidate doit prévoir d'inclure dans le prix qu'elle propose un pourcentage, variable mais jamais inférieur à 10% du total, qui sera réparti entre les employés du client...

 

D'où l'importance de l'action de la société civile pour sensibiliser et lutter contre le phénomène.

 

Maxime Nikiéma nous explique que lors de la création du REN-LAC en 1997, il n'était pas facile de parler de corruption dans le pays : les acteurs de la structure étaient alors considérés comme jaloux des richesses des autres, ou comme des déstabilisateurs. La corruption, bien que dénoncée par beaucoup, est finalement un phénomène « normal » ici, dont les limites sont difficiles à cerner et surtout, dont presque tous profitent, directement ou indirectement. La stratégie pour s'imposer a donc consisté à publier des enquêtes, des résultats et à mettre en lumière diverses affaires de corruption, y compris en passant par des dénonciations nominatives. Les citoyens sont appelés à participer au processus de lutte, notamment en utilisant le numéro vert spécifique mis à leur disposition par le REN-LAC pour les dénonciations.

 

Le REN LAC travaille en suivant des plans stratégiques, l'actuel s'étendant de 2008 à 2012, organisé autours de cinq axes :

  • production de connaissances et documentation fiables sur la corruption, l'objectif étant de démontrer et rendre public le phénomène pour pouvoir le combattre ;

  • informer, sensibiliser, conscientiser et organiser les citoyens contre la corruption, ce qui passe par des programmes radiophoniques, télévisés, des représentations théâtrales pour enfants et adultes, la production de BD...

  • plaidoyer et lobbying auprès des leaders qui influencent les prises de décisions publiques ;

  • suivi et évaluation des actions de lutte contre la corruption ;

  • renforcement de capacités opérationnelles, organisationnelles et institutionnelles.

 

La stratégie ainsi adoptée a finalement conduit le gouvernement à admettre l'existence de la corruption, puis à affirmer la nécessité de lutter contre, notamment par la mise en place d'organes étatiques. On peut néanmoins se poser la question de la réalité de la volonté ainsi affichée par les pouvoirs publics, quand il est de notoriété publique que la famille Compaoré en profite largement pour s'enrichir... Mais en tout état de cause, le gouvernement est contraint de montrer une certaine considération vis à vis du REN LAC, dans la mesure où les institutions internationales, telles la Banque Mondiale ou le FMI, font confiance à l'association dans la lutte contre le phénomène.

 

Au-delà, le REN LAC travaille en collaboration avec Transparency International, même s'il a pu exister des divergences de stratégie entre les 2 organisations (notamment, TI n'était pas favorable aux dénonciations individuelles) ; un réseau d'associations de lutte contre la corruption a également été formé dans toute la sous-région, ce qui permet un partage d'expériences et de bonnes pratiques.

 

En comparaison avec les pays voisins d'ailleurs, M. Nikiéma considère que la petite corruption est un peu moins développée au Burkina. Il est vrai que nous avons vu beaucoup moins de barrages de police, gendarmerie ou douane au Burkina qu'au Mali, Bénin et Togo... Autant d'occasions en moins pour la pratique du racket sur les routes. En revanche, la grande corruption est probablement bien plus forte au Burkina, ce qui s'explique probablement par la situation politique particulièrement difficile, marqué par une absence d'alternance depuis 1987 et divers assassinats politiques, que connaît le Burkina.

 

Concernant la pratique des « per diem », M. Nikiéma estime que qu'ils participent effectivement à la corruption et constituent une véritable gangrène. Les « per diem » sont une pratique que nous avons découverte au Mali et qui consiste pour une organisation internationale, une entreprise, une ONG, …, à indemniser forfaitairement les participants à une formation, un atelier, un événement quelconque. Il semble qu'elle ait été introduite par les organisations internationales. Elle peut se comprendre en partie, du fait de la situation de pauvreté généralisée, et notamment pour les personnes vivant de l'économie informelle ou d'une activité « libérale », qui perdent des revenus du fait de leur participation à l'événement en question. Aujourd'hui, les gens attendent qu'on leur paie au minimum le carburant (et souvent davantage) pour pouvoir assister à une formation qui leur profite ou à un atelier d'intérêt général. Le problème est que les gens ne travaillent plus du tout pour l'intérêt général, mais seulement pour leur intérêt personnel... quand ils travaillent.

 

Cependant, d'après M. Nikiéma, la responsabilité de la communauté internationale se situe avant tout au niveau des avoirs volés. Les personnes qui s'enrichissent illégalement ne gardent généralement pas leurs richesses au pays, mais les expatrient, notamment vers des pays occidentaux... qui, d'après M. Nikiéma, ne devraient pas tolérer d'héberger ces fonds, propriétés, etc.

 

Il faut souligner que la recherche de revenus supplémentaires de la part des fonctionnaire s'explique aussi par le très faible niveau des traitements dans la fonction publique. Par exemple, un étudiant de la génération de M. Nikiéma ayant un doctorat de 3ème cycle, lui permettant d'accéder quasiment au plus haut niveau de la fonction publique, ne touche en début de carrière que 100 000 FCFA/mois (soit 150 euros), et en fin de carrière (25 ans de services) 250 000 FCFA/mois, soit 375 euros. En comparaison, dans le privé (à condition d'avoir trouvé un travail !), certains peuvent espérer, avec une maîtrise de gestion, plus 500 000 FCFA mensuels (750 euros). De plus, de grands retards ont été pris dans les négociations salariales : les syndicats de la fonction publique sont actuellement en train de négocier les avancements... pour 2004-2005 ! En conséquence, les gens mettent la main à la caisse dès que l'occasion se présente.

 

Or, le niveau faible des salaires est en partie le résultat de l'action de la communauté internationale, qui a imposé les fameux Plans d'Ajustement Structurel (PAS), lesquels incluent fréquemment le blocage des traitements dans la fonction publique. Là encore, la communauté internationale porte sa part de responsabilité.

 

Quelles solutions ?

 

Une évaluation des actions du REN-LAC a été réalisée, dont les résultats principaux sont que le gouvernement a changé d'appréciation sur la situation, et que le phénomène est désormais mieux connu du grand public. Toutefois, l'action n'a pas d'impact sur la corruption en elle-même. Alors, quelle solution au problème ?

 

D'après Maxime Nikiéma, la première nécessité est une réelle volonté politique au plus haut niveau, c'est à dire du Gouvernement. Elle doit se doubler de l'existence de réelles sanctions administratives et judiciaires. Si un arsenal juridique de lutte contre la corruption existe bien (le Burkina a notamment ratifié les textes des Nations Unies et de l'Union Africaine sur la question), les textes ne sont pas appliqués. L'exemple nous est donné du directeur général des douanes, qui a eu des problèmes de malversation. Un juge l'a inculpé, mais le Ministre de la justice est intervenu directement afin d'éviter que le juge l'envoie en prison. Pour M. Nikiéma, il existe donc actuellement deux catégories de citoyens au Burkina.

 

Il pense que, lorsque l'impunité actuelle cessera, la corruption s'arrêtera : si la pratiquer s'avère trop dangereux, pourquoi continuer ? Cela implique toutefois de commencer par faire cesser le phénomène chez les plus hauts placés. Afin de mettre fin à l'impunité, une alternance est sûrement nécessaire. Pour autant, même sans cela, le Président actuel, Blaise Compaoré pourrait décider d'une amnistie générale suivie d'une tolérance zéro ; bien installé au pouvoir et stable, une telle décision ne lui coûterait sans doute pas son poste, et mettrait fin à la majeure partie de la corruption rapidement. Pour le moment, ce ne semble pas être le chemin qu'il choisit de suivre, et aucune alternance n'est envisageable en l'état actuel des choses... En tout état de cause, malgré les responsabilités externes évoquées précédemment, il considère la lutte contre la corruption avant tout comme un problème interne.

 

 

Sur un plan plus administratif et pour être complets, l'association, qui emploie 9 salariés, est dirigée par un Secrétariat Exécutif de dix membres élus par une AG, instance suprême du réseau. Mais comme son nom l'indique, elle organise également un réseau de 24 ONG membres, parmi lesquelles figurent notamment les quatre centrales syndicales les plus importantes du pays. Son financement est assuré par l'intervention de bailleurs extérieurs, notamment les ambassades du Canada et des Etats-Unis depuis 1997 ; en 2003, un consortium de partenaires techniques et financiers est mis en place (coopération suisse, une ONG suédoise, ambassades du Danemark et des Pays-Bas). Entre septembre 2006 et juillet 2008, le REN Lac a rencontré des difficultés financières qui l'a obligé à mettre une partie de son personnel au chômage technique. Un nouveau plan de financement a été mis en place pour la période 2008-2012, avec la plupart des anciens partenaires du consortium.